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nérosité qui m’était inconnue ; et nulle part la prière ne m’a paru plus solennelle que sous ce ciel du désert. Dès que le jour paraît, les esclaves et les jeunes Mauresses aux formes élégantes versent le mil dans des mortiers en bois placés à la porte de chaque tente ; elles le réduisent en farine en frappant leurs mains en cadence après deux coups de pilon. Bientôt le soleil se lève, le peuple sort des tentes, et se range en colonne précédé de ses chefs, la face tournée vers l’orient ; le marabout est seul en avant, il se recueille, il semble plus rapproché du dieu qu’il prie, et suivant qu’il se lève ou qu’il s’agenouille, le peuple se lève ou se prosterne. Après la prière, chacun retourne à ses occupations : les uns tissent des nattes ou prennent soin des troupeaux, les autres travaillent l’or et le fer, dont ils font des objets de luxe d’une délicatesse remarquable ; les princes vont au palabre ou conseil.

Les armes des Maures sont les mêmes que celles des Européens : obligés de parcourir des espaces immenses suivant leurs projets de guerre ou de commerce, la cavalerie est naturellement l’objet de leur préférence ; aussi la plupart d’entre eux ont-ils des chevaux dont la rapidité à la course est sans égale. Les chameaux portent le bagage, les tentes et les marchandises. C’est également sur le dos de ces animaux qu’ils transportent aux escales ou rendez-vous sur les bords du Sénégal la gomme qu’ils ont recueillie dans les forêts où elle suinte du tronc et des branches du gommier.

Les marabouts ont seuls le privilège d’en faire la récolte ; ne participant point aux dépouilles de la guerre, ils recueillent les fruits de la terre. L’éloignement de ces prêtres mahométans pour les armes est tel qu’ils ne se serviraient même pas d’un couteau dont la forme approcherait de celle d’un poignard.

Chez les Trazas, quoique la couronne se transmette de père en fils, l’héritier direct déclaré ou reconnu incapable est inhabile à succéder : c’est le prince qui annonce le plus d’heureuses dispositions et se fait le plus remarquer par son courage, qui est proclamé roi. Ainsi, il y a trente ans, Amar Moctar fut préféré à Ali Kouri. Celui-ci avait conservé des partisans de sa légitimité dont le nombre s’accrut à sa mort en faveur de son fils Moctar, jeune prince aussi beau que brave. Néanmoins le fils d’Ali Kouri ne put faire prévaloir ses droits à la couronne, à la mort d’Amar Moctar. C’est le fils de ce dernier, Mohammed-el-Habyb, qui fut reconnu roi, malgré les prétentions de celui qui se proclamait seul légitime.

Ces contestations ne se vident ordinairement que par la force des armes ;