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à la triste situation dans laquelle il avait laissé son maître, lui demanda la cause de son chagrin, et l’ayant apprise, il prit sur-le-champ la résolution de délivrer le jeune Xuares ou de mourir avec lui. L’Indien, rempli de frayeur, ne voulait pas retourner et lui servir de guide ; mais Salazar lui déclara qu’il le tuerait, s’il se refusait à marcher, et l’obligea enfin à le conduire au lieu où son maître était retenu.

« Arrivé près du village, il s’arrêta quelque temps pour aviser aux moyens d’avancer sans être découvert ; enfin, marchant avec toutes les précautions nécessaires, il parvint presqu’à un cancï, espèce de loge ronde, dans laquelle Xuares était attaché, attendant avec une mortelle anxiété la fin du repas et le commencement du jeu dont sa vie devait être le prix. De prime abord, il coupa les liens qui retenaient ses membres, puis lui ayant dit : Soyez homme, et faites comme vous me verrez faire, il se jeta sans autres armes qu’une épée et une rondache, au milieu de plus de trois cents Indiens, tous hommes faits, qui étaient accourus au bruit, et sans paraître plus ému que s’il avait eu derrière lui un nombre égal de chrétiens. Bref, il se démena de telle sorte, qu’il se tira lui et Xuares du milieu de toute cette canaille qui enrageait de les voir partir.

« Le bonheur voulut que le cacique fût blessé un des premiers et assez grièvement pour ralentir le courage des autres, ce qui donna à nos deux Espagnols quelque peu de répit, et leur permit de faire retraite.

« Ils étaient déjà bien loin, lorsqu’ils virent accourir vers eux des messagers qui leur faisaient signe d’attendre, et qui, s’étant approchés à portée de voix, prièrent Salazar de revenir sur ses pas, parce que le cacique, qui avait pris une haute idée de son courage, souhaitait le voir, afin de lui offrir ses services. Salazar, ayant ouï ce message, ne le dédaigna point, quoique venant de gens si grossiers, et se mit en devoir de retourner pour savoir au juste ce que lui voulaient les Indiens ; mais son compagnon, qui avait encore devant les yeux le triste sort auquel il venait d’échapper, n’était nullement de cet avis. Se mettant donc à genoux devant le capitaine, il le pria, le supplia pour l’amour de Dieu de ne pas retourner, lui représentant que les Indiens étaient en si grand