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UNE ESTANCIA.

cuir ; les produits de la terre sont conservés dans des sacs de même matière ; en un mot on ne pourrait citer aucun des objets à son usage où le cuir n’entre pour quelque chose.

C’est donc sur la prospérité des estancias que repose, dans toute la force du terme, l’existence de la République Argentine ; livrée, comme elle l’est depuis si long-temps à l’anarchie, elle serait actuellement plongée dans la misère la plus profonde, si l’agriculture ou des fabriques eussent été les bases de sa richesse. Mais la multiplication rapide de ses troupeaux l’a soutenue dans les grandes épreuves qu’elle a eu à traverser, et quelques années de repos et de sécurité pour les propriétés suffiraient pour réparer ses pertes, malgré l’immense destruction de bétail qui a eu lieu pendant les dernières guerres civiles. Pour n’en citer qu’un exemple, on estime à soixante mille animaux la consommation que fit, en 1829, l’armée fédérale, forte de dix mille hommes, qui bloqua la ville pendant environ cinq mois. Pour comprendre ceci, il faut connaître les habitudes désordonnées des gauchos en pareille circonstance : lorsque après avoir tué un bœuf, ils ne le trouvent pas à leur gré, ils le laissent de côté ou n’en prennent que les parties les plus délicates, et passent à un autre, jusqu’à ce qu’ils en rencontrent un qui leur convienne. Le nombre de chevaux détruits dans le même espace de temps fut beaucoup plus considérable encore. La campagne à quinze lieues aux environs de la ville était couverte de leurs cadavres, et à chaque pas on en rencontrait d’expirans, qui n’avaient pas la force de toucher à l’herbe au milieu de laquelle ils étaient couchés. Le peu de ménagement avec lequel on les traite, les fait périr par milliers dans le cours d’une campagne, si courte qu’elle soit, et les armées sont obligées d’en avoir des troupes nombreuses à leur suite pour remplacer ceux qui succombent. Pendant la guerre avec le Brésil, l’armée patriote, forte d’environ six mille hommes, eut presque constamment trente mille chevaux avec elle, et plusieurs fois elle fut entravée dans ses opérations, faute d’en avoir un nombre suffisant pour le service.

Cette destruction qui a continué pendant ces dernières années, et l’absence de documens officiels, rendent impossible, pour le moment, une estimation même approximative du nombre d’animaux que possèdent les provinces du Rio de la Plata. Un essai de