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UNE ESTANCIA.

les autres manadas, et tâche d’attirer à lui quelques jeunes jumens de son âge ; il ne tarde pas à être entouré de plusieurs, qui quittent leur troupe pour se joindre à lui, et il devient à son tour le père d’une nombreuse postérité. On ne conserve néanmoins qu’un nombre limité d’étalons qui ne servent qu’à la propagation. La plupart des autres chevaux qu’on destine aux usages ordinaires subissent la castration comme les nôtres.

Jusqu’à l’âge de deux ans et demi à trois ans, un cheval vit en liberté sans jamais sentir la main de l’homme. À cette époque, il est dompté de la manière suivante : les peons commencent par renfermer dans le corral la manada dont il fait partie ; l’un d’eux lance au cou de l’animal un lazo et l’entraîne hors de l’enceinte malgré sa résistance ; un second lui enlace les jambes de derrière, et tous deux tirant chacun de leur côté en sens contraire, le renversent sur le sol. Le domador lui passe alors un mors dans la bouche, et lui attache sur le dos un cuir garni d’étriers comme une selle ordinaire, après quoi on le dégage de ses entraves et on le laisse se relever. Le domador s’élance sur son dos, et s’y maintient en enfonçant dans le cuir qui remplace la selle, ses énormes éperons, dont la molette a souvent trois pouces de diamètre. L’animal, tremblant de crainte et de fureur, reste presque toujours, pendant plusieurs minutes, immobile, les jambes écartées, les naseaux fumans, l’œil fixe. Il fait tout à coup plusieurs bonds de suite à hauteur d’homme, et s’élance en ligne droite à travers la campagne en franchissant tous les obstacles qui se trouvent sur sa route ; mais il essaie vainement de se débarrasser de son cavalier en se cabrant, en lançant des ruades ou se roulant à terre ; celui-ci épie tous ses mouvemens, les prévient, et l’oblige bientôt à suivre la direction qu’il veut lui faire prendre. Quand les forces du cheval sont épuisées, le domador le ramène, lui ôte la bride et la selle, et l’attache, pour la nuit, à un poteau planté dans un endroit dépourvu d’herbe, afin qu’il ne puisse réparer ses forces. Le lendemain et les jours suivans, il le fatigue de nouveau en lui permettant de paître pendant quelques heures ; enfin, au bout de quatre ou cinq jours, l’animal est censé dompté et propre au service : — Es un caballo, c’est un cheval, disent les gauchos. Quand, après quelques semaines, sa fougue sauvage est encore diminuée, il devient un rodomon que