Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/589

Cette page a été validée par deux contributeurs.
583
UNE ESTANCIA.

mille animaux qui obéissent à un vieux taureau dont ils suivent tous les mouvemens. On accoutume celui-ci à venir chaque soir près de la maison, et à passer la nuit régulièrement dans le même endroit ; les autres l’imitent, et forment un vaste cercle autour de lui, ce qui a fait donner à ces troupeaux le nom de rodéo, de rodear, entourer. À la pointe du jour, quand leur chef se lève et se met en marche, tous les animaux qu’il dirige l’accompagnent et se rendent avec lui aux pâturages. Trois ou quatre mois suffisent ordinairement pour les accoutumer à ce manège. L’un des rodeos reste attaché au centre de l’établissement ; les autres sont placés à des distances à peu près égales et mis sous la direction d’un capataz, accompagné d’un nombre convenable de peons qui construisent leurs ranchos dans l’endroit qui leur a été assigné. Le service de ces peons consiste à empêcher les animaux de s’écarter. Depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit, ils sont à cheval, occupés à les surveiller et à les maintenir près du rodeo auquel ils appartiennent. Tant que l’eau ne lui manque pas, le bétail reste à sa portée ou ne s’en éloigne guère ; mais lorsque la sécheresse se fait sentir, il se répand de côté et d’autre, et ne cesse de marcher que lorsqu’il a trouvé à apaiser la soif qui le dévore, ou bien lorsqu’éclate un de ces terribles orages auxquels sont sujets les pampas, les animaux, épouvantés par les éclairs et le fracas de la foudre, s’enfuient dans toutes les directions et se mêlent à ceux des estancias voisines ; il faut alors plusieurs jours aux peons pour les réunir. Malgré la surveillance la plus active, un estanciero perd chaque année, par ces deux espèces d’accidens, un assez grand nombre d’animaux, surtout lorsque près de sa propriété il existe des bouquets de bois où ils peuvent se cacher. Ce bétail égaré devient sauvage, et s’étend de plus en plus au loin. C’est ainsi qu’il en existe une assez grande quantité sur le territoire des Indiens qui lui donnent la chasse et en vivent en partie.

Le jaguar et le couguar, qui sont assez communs dans le pays, font éprouver aussi quelques pertes aux estancieros, mais trop peu considérables en général pour qu’ils en tiennent compte. Les bœufs et les chevaux savent bien se défendre eux-mêmes contre ces animaux féroces, comme ils le font en Europe contre les loups, en se mettant en cercle et en présentant à l’ennemi, les premiers, un front