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REVUE. — CHRONIQUE.

pas plus affermi, je pense. Le lendemain de cette culbute accablante du parti, M. de Châteaubriand comparaissait devant les assises, accusé au sujet de sa dernière brochure. Quel que fût le fonds de cette brochure, quelle que fût la défaveur du moment, l’illustre écrivain représentait la liberté de la presse mise en cause dans sa personne. Le jury l’a compris de la sorte. Les choses se sont passées comme elles se passeront toutes les fois qu’on confrontera le génie, défenseur d’une liberté, face à face avec le pays. L’équité du verdict d’acquittement s’animait et se colorait d’une émotion généreuse. À partir de ce jour, M. de Châteaubriand est encore reconquis à la France ; mais, qu’il y songe, il n’appartient qu’à elle désormais. — Gustave iii a obtenu, mercredi, à l’Opéra, un succès immense de drame, de magnificence, de ballets, et, par endroits, de musique. Nous y reviendrons.



BÉATRIX CENCI.


La Porte-Saint-Martin va mettre en répétition la tragédie de Beatrix Cenci, que nous avons déjà annoncée. C’est un magnifique sujet que celui-là, si l’auteur l’a compris.

Une fille aimée de son père comme d’un amant, indignée de voir sa pureté menacée par un débauché suranné, avouant ses tentatives à sa mère dont on veut la rendre la rivale, perdant d’abord le respect, ensuite la pitié pour celui qui l’a créée ; passant de la timidité d’une vierge à l’audace d’un assassin ; demandant à son confesseur s’il lui est permis de tuer son père ; le confesseur permettant le crime, la fille égorgeant le père séducteur ; le pape faisant comparaître à son tribunal le juge même de Béatrix, le confesseur ; tous deux agitant entre eux comment le devoir doit être enseigné aux hommes par les envoyés de Dieu ; si le confesseur peut permettre l’assassinat pour empêcher l’inceste ; si le sang d’un père vaut moins que la virginité d’une fille ; si le successeur de saint Pierre en sait plus qu’un prêtre sur les secrets de la conscience et du devoir, qui sont les secrets de Dieu même : certes ce peut être là une immense tragédie ; nous verrons si l’auteur a bien pesé ce que l’histoire lui mettait dans la main.

La seule chose qui soit sûre dans cette prochaine représentation, c’est que le rôle de Béatrix sera rempli par madame Dorval. Si la perfection de la tragédie est incertaine, celle de la tragédienne ne l’est pas ; il nous reste cela du moins, et c’est beaucoup.