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REVUE DES DEUX MONDES.

Tu vivras d’allégresse, ô Colombe sacrée ;
— Mais l’hiver souffle encor, saison des passereaux.


Va pourtant ! tu n’es plus solitaire et sans joie ;
Dans la nue, au désert, perdue à tous les yeux,
Quand tu veux te guider, tu regardes la voie
Où marche en grossissant le groupe harmonieux.


Et si jamais ton ciel redevenait plus sombre ;
Si ton vol fatigué fléchissait dans la nuit,
Entre le groupe et toi, si quelque jeu de l’ombre
Te voilait un moment le signal qui conduit ;


Si d’en haut (car parfois le doute nous arrive
En ces jours de passage où rien n’est arrêté)
Il te semblait encor voir sans cours et sans rive,
Comme une eau dans les joncs, flotter l’humanité ;


Alors, toujours, partout, sereine ou désolée,
Dans la plus froide nuit comme au plus beau soleil,
N’as-tu pas cette autre âme à tes destins mêlée,… etc., etc…


En ouvrant le tome v des Contes de toutes les couleurs[1], je tombe sur Cyprien, fragment philosophique de Jules Sand, ce nom de Sand m’ayant tout d’abord alléché. Cyprien est une de ces jeunes et ardentes âmes, comme Bucheille, que le mal social agite, dévore, mûrit ou tue avant le temps ; mais Cyprien est plus ferme que Bucheille ; sous son accent amer, sous sa parole un peu fatiguée, on sent l’énergie morale ; il vivra et trouvera à sa volonté intelligente quelque application digne d’elle. Après Cyprien vient Cora, jolie boutade de l’autre Sand, de celui d’Indiana et de Valentine. Il s’est délassé, cette fois, de la passion sérieuse en persiflant méchamment les pauvres amoureux qui s’éprennent des fantastiques beautés brunes, aux yeux verts et transparens, aux lèvres minces, fines et pâles, aux rares paroles, au profil mélancolique et sévère. C’est par suite de ce persiflage malicieux que je lis en un endroit Murillo et Scheffer accolés. Il y a aussi dans ce volume un conte qui a le mérite d’être chinois, et d’un chinois traduit par M. Stanislas Julien ; on y apprend mille jolis petits détails bizarres, tout en se pénétrant d’une excellente morale en action.

  1. Fournier, rue de Seine, n. 99.