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REVUE. — CHRONIQUE.

nienne[1], par madame Joséphine Le Bassu. C’est un livre écrit avec douceur, intérêt, inexpérience littéraire, mais sentiment vrai, pur et assez touchant. L’auteur évidemment a été témoin d’une aventure plus ou moins semblable à celle qu’il nous raconte, Une jeune fille sentimentale, exaltée, élevée dans la pratique chrétienne et d’une nature un peu mystique, Claire, est aimée d’un jeune homme éloquent et enthousiaste qui a embrassé le saint-simonisme, et dont l’amour l’entraîne à sa secte sans la convaincre ; le malheur qui les frappe tous les deux semble à l’auteur provoquer une moralité favorable au christianisme. Quelque incident arrivé dans le cours des missions saint-simoniennes du midi, doit avoir fourni le fonds de cette histoire. Mais la lenteur du préambule, le grand nombre de personnages trop mollement dessinés, et une teinte romanesque à la Montolieu répandue sur l’ensemble, empêchent l’effet d’être vif et réel, bien que la facilité, la grâce et une certaine onction ne manquent pas. Était-il donc besoin, pour inspirer à Claire de l’amour pour Reinal, de recourir à cette opération presque fabuleuse de la transfusion du sang ? Le côté amoureux, mystique et insinuant du saint-simonisme est assez fidèlement rendu ; le côté politique et économique n’est pas même soupçonné. Durant la seconde période de la doctrine et dans les relations avec les femmes, surtout quand des jeunes gens, convertis à peine depuis quelques mois, couraient en prosélytes, s’adressant aux imaginations provençales, c’est bien sous cette forme vaguement attrayante et affadie, que le saint-simonisme, naguère austère au sortir du Producteur, menaçant au sortir des ventes, se produisait en se corrompant. Bien des cœurs avides, des imaginations tendres d’adolescens, en essayèrent. Il y aurait un singulier rapprochement, non pas tout-à-fait chimérique, à établir entre le saint-simonisme de cette période et les congrégations mystiques, et à la fois ambitieuses, des premiers temps de la restauration. C’était également, quant aux procédés du moins, quelque chose de séducteur, de chatouilleux, qui allait aux sens en parlant des choses sévères. Le demi-jour des chapelles de la Roche-Guyon se retrouvait presque dans le cabinet étoffé et doré du père suprême. L’apothéose anticipée d’un avenir inconnu employait les mêmes expédiens, les mêmes pratiques idolâtriques que l’adoration réchauffée d’un passé enseveli. Qui l’eût dit ! quand une jeunesse aristocratique, sortie de Saint-Acheul ou des séminaires, se glissait dans les affiliations dévotes ; qui l’eût dit ! que hors d’elle, au sein même du carbonarisme farouche, il se préparait quelque chose qui deviendrait de transformation en transformation, et après une révolution nouvelle, le sanctuaire non moins mystique, le Sacré-cœur, en vérité, de la jeunesse républi-

  1. Tenré, libraire, rue du Paon, n, r.