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SALON DE 1833.

sagesse harmonieuse des épisodes, par le sens mystérieux et divin de leurs œuvres, entre Homère et Milton. Or, nos mœurs et nos habitudes ne se prêtent pas volontiers à ces impressions solennelles et graves. Si ces demi-dieux revenaient parmi nous, leur génie suffirait à peine à violer la triple enceinte de mesquinerie, d’indifférence et de frivolité qui défend nos cœurs contre la puissance des grands spectacles.

Pourtant il faudra bien que le paysage prenne un parti, qu’il se résolve à se frayer une route au-delà des tombeaux qui bordent les routes anciennes.

La sculpture a subi parmi nous, comme chez les autres peuples de l’Europe, bien des transformations douloureuses, et souvent elle a été menacée de mort. Depuis les cariatides du vieux Louvre jusqu’aux bas-reliefs de l’arc du Carrousel, depuis François Ier jusqu’à Napoléon, quelles destinées orageuses et diverses ! Aux premiers jours de la renaissance, entre Diane de Poitiers et la comtesse de Châteaubriand, on eût dit qu’elle revenait aux grandes inventions du génie grec, au siècle merveilleux de Phidias et de Périclès ; sous sa main toute puissante, le bronze et le marbre s’animaient comme le chaos sous le doigt de Dieu. L’art italien rivalisait de prodiges avec l’art de France ; l’élégance et la grâce étaient partout, à l’hôtel Carnavalet, au château de Chambord ; alors un seigneur couronné de perles ou de fleurons eût rougi d’avoir dans son palais une salle nue et déserte ; les plafonds étaient vivans ; un lit, un fauteuil, un prie-dieu, devenaient sous le ciseau de l’artiste de véritables personnes ; l’âme était partout présente, comme le sang dans les veines.

Après Jean Goujon, qui joue en France le même rôle que le beau-frère de Panœnus dans la Grèce, Pierre Puget reprit la tâche de Pythagore de Rhège ; il tenta l’expression de la souffrance, et l’on sait s’il a réussi : la chair palpitante qui se déchire en lambeaux sanglans sous les griffes et les dents du lion, la tête et la poitrine de Milon torturées par la douleur suffiraient à sa gloire, et le dispenseraient des monumens admirables dont il a doté sa patrie.

Mais Puget n’était pas de son siècle, et Voltaire, qui avait pu recueillir l’opinion populaire, le place fort au-dessous de Girar-