Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/547

Cette page a été validée par deux contributeurs.
541
VOYAGE SUR LE MISSISSIPI.

cette immense quantité d’herbes élevées, on les voit ondoyer comme les flots de l’Océan, et leur horizon se confond au loin avec le ciel. Elles étaient alors remplies de fleurs et de fraises, qui y attirent beaucoup d’ours. Le chemin était très mauvais, et le terrein que nous parcourions généralement marécageux ; des milliers de ruisseaux et de petites rivières, tous tributaires du Mississipi et gonflés par des pluies récentes, couraient devant nous en tous sens, et nous obligeaient souvent d’aller à travers plaines chercher des passages moins dangereux que ceux que l’on suivait habituellement. C’était sur cette route que peu de temps auparavant l’évêque de Saint-Louis avait manqué périr, en traversant un pont en malle-poste. Le pont s’était rompu, tout était tombé dans l’eau, les chevaux, la voiture et l’évêque, et celui-ci ne s’était sauvé que par miracle. C’est ici le lieu de dire que, dans cette partie des États-Unis, les routes n’offrent pas grande sécurité aux voyageurs. Les ponts, faits en général de pièces de bois très minces posées les unes près des autres, sans être clouées, n’ont pas de garde-fous, et ont juste la largeur d’une voiture : cela n’empêche pas le hardi driver américain de les traverser au galop, car peu lui importe que les voyageurs qu’il conduit arrivent sains et saufs ; pourvu que le mail, grand sac de cuir qui contient les lettres et les journaux, vienne à bon port, c’est là pour lui le point important ; le reste n’est qu’accessoire.

Le second jour de notre voyage, que nous avions continué sans nous arrêter, il faisait déjà très chaud à huit heures du matin. Il n’y avait pas d’air ; les herbes étaient immobiles, et la prairie était unie comme une mer calme, lorsque je crus remarquer à l’horizon un mouvement extraordinaire. Je pris ma longue vue, et je découvris un troupeau d’une cinquantaine de cerfs couchés et agitant leurs grands bois, sans doute pour chasser les mouches qui les tourmentaient. J’en vis arriver deux au galop, et tout à coup, bondissant tous ensemble, ils s’enfoncèrent dans l’immensité de la prairie et disparurent. — Je ne pense pas qu’on puisse faire de plus belle chasse que dans ces prairies. À chaque instant, sur notre passage, se levaient des coqs de bruyères (prairie hen), qui venaient se poser en face de nous, et nous regardaient stupidement le cou tendu au-dessus des herbes. Les perdrix y abondent, mais elles ne sont guère plus grosses que nos cailles. Les bécassines et les râles y sont