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Dans le cours du récit, Maturin trouve moyen de mêler aux touches les plus sombres les tons les plus frais et les plus jeunes. À chaque pas que nous faisons dans l’enfer, en le suivant, il entr’ouve le ciel, et, comme les archanges déchus de Milton, nous marchons au milieu de ténèbres visibles.

Mais les plus belles pages de Melmoth, et aussi, je veux bien l’avouer, les plus désespérantes, sont celles où il retrace, en traits profonds et ineffaçables, les dernières luttes de l’amour contre les angoisses de la faim. Un pareil thème sous la plume vulgaire de Rétif de la Bretonne n’exciterait que le dégoût ; sous le pinceau tout puissant de Maturin, comparable en cette occasion à celui de Salvator, il acquiert une grandeur incalculable. L’esprit se refuse à discuter les limites qui séparent l’horreur de la poésie. Une pareille lecture frappe l’âme de stupeur, comme le Prométhée ou la mort d’Ugolin

Le caractère saillant de Melmoth, c’est la poésie élevée à l’effroi le plus poignant. Le désordre qui règne dans la succession, en apparence fortuite, des aventures, a donné, à une femme d’esprit, l’idée d’appeler Maturin l’Arioste du crime. Ce n’est qu’un jeu de mots très puéril. Un critique, qui niait la justesse de la comparaison, mais qui voulait en trouver une autre, a nommé l’auteur de Melmoth le Dante des romanciers. À mon avis, il n’a pas été plus heureux, car la Divine Comédie est avant tout une épopée satirique ; bien que le poète florentin prenne pour guide et pour conseil l’ami et le courtisan d’Auguste, le récit de ses voyages n’est pourtant qu’une magnifique et immense vengeance. Jamais le plaisir des dieux n’a été plus largement savouré sur la terre.

Maturin, à qui le temps et la fortune ont manqué pour révéler complètement les mystères de son génie, ne ressemble ni à Dante ni à l’Arioste. La pauvreté, qui a mis la plume dans sa main, n’a pas permis à sa pensée de germer à son heure, ni de pousser ces moissons dorées à qui la prospérité sert de soleil et de rosée. Déshérité de la gloire qu’il revendiquait, il se consolait dans la société de quelques amis, dans la conversation des jeunes femmes que son affabilité réunissait autour de lui. Il aimait les plaisirs simples ; et ceux qui l’ont connu croyaient voir revivre le digne ministre dont le pinceau de Newton nous a récemment donné un si délicieux