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vais surtout cette phrase présente à la mémoire : « On voit des îles flottantes de pistia et de nénuphar, dont les roses jaunes s’élèvent comme de petits pavillons ; des serpens verts, des hérons bleus, des flamans roses, de jeunes crocodiles s’embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleurs, et la colonie, déployant aux vents ses ailes d’or, va aborder endormie dans quelque anse retirée du fleuve. » Je le demande à quiconque a navigué sur le Mississipi, s’il a jamais rien vu de semblable. Je n’ai pas rencontré non plus d’ours chancelant sur les branches des ormeaux, enivrés de raisins. Les caribous ne s’y baignent pas davantage ; on ne commence à trouver ces animaux que par la latitude du Bas-Canada. J’étais réellement désappointé en me trouvant ainsi en face de la réalité. La description de ce fleuve, dans Atala, est faite par quelqu’un qui ne l’a jamais vu. Où sont aussi les rochers et les montagnes qui doivent se trouver sur le bord du Meschasébé ? Jusqu’à l’embouchure de l’Ohio tout est boue, excepté à Natchez et à Memphis, qui sont sur une éminence, mais où l’on ne voit pas de rochers. Il est très rare aussi de trouver de jeunes ou de vieux crocodiles dans le Mississipi, passé les Natchez.

L’aspect du Mississipi est certainement imposant, car il a quelquefois deux à trois milles de large, mais ses eaux bourbeuses offrent un singulier contraste avec celles du magnifique Saint-Laurent, si limpides et si transparentes. Les forêts qui bordent ses rives, quoique fort belles, fatiguent bientôt le voyageur par leur monotonie. Elles sont pleines de gibier, et les Kentuckois sont d’excellens chasseurs. — Nous remontions si près des bords du fleuve, que nous cassions souvent des branches d’arbres en passant, et un dindon sauvage, endormi ou malade, qui ne s’envola que lorsque le bateau l’atteignit, vint tomber sur le pont, étouffé par la vapeur. Nous rencontrions assez souvent de grandes barges remplies de bestiaux, qui descendent du Kentucky, de l’Ohio, etc., à la Nouvelle-Orléans ; mais c’est surtout au commencement de mai qu’on les voit arriver en foule. Quelquefois, dans le lointain, on aperçoit le long des forêts un steamboat lançant sa vapeur dans la solitude : à peine distingue-t-on les habitans de cette ville mouvante. C’est comme en pleine mer ; on se regarde de loin ; on voit s’agiter la cloche, salut d’usage ; on tâche de lire le nom du bâtiment, et bientôt tout a