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VOYAGE SUR LE MISSISSIPI.

qui vient heurter contre ces masses, se crève et coule bas. C’est un accident qui arrive fréquemment, quand on remonte le Mississipi ; car pour éviter la violence du courant, on est obligé de naviguer le plus près possible des bords, et c’est là principalement que se trouvent les snags. Les bâtimens qui descendent, au contraire, se laissent aller au milieu du fleuve, et filent avec une vitesse incroyable.

Le moyen généralement adopté pour mettre les bateaux à l’abri des snags est le suivant. On pratique sur l’avant une chambre entièrement séparée du reste du bâtiment ; les bordages en sont excessivement épais, et le tout est consolidé par d’énormes poutres qui la remplissent presque en entier. On l’appelle snagroom. Cette chambre peut se remplir d’eau sans que le reste du bâtiment coure aucun danger.

Les sawyers diffèrent peu des snags ; mais, cédant à la pression du courant, ils paraissent et disparaissent avec un mouvement de va-et-vient assez semblable à celui d’une scie de moulin, ce qui leur a fait donner le nom de sawyers (scieurs).

Les îles de bois, formées par de grandes masses d’arbres arrêtées dans leur traversée, sont surtout dangereuses pour les barges qui descendent. La quantité d’arbres entiers et immenses que charrie le Mississipi est incalculable. On parvient à en arrêter un bon nombre à la Nouvelle-Orléans, mais la plus grande partie, quelquefois après un cours de quinze cents lieues, va rouler jusqu’à l’embouchure du fleuve. Là, entassés sur les milliers d’arbres décharnés qui y pourrissent depuis bien des années au milieu des boues, ils attendent que quelque violente tempête vienne les soulever et les entraîner dans le golfe du Mexique. Au dire de tous les voyageurs, il n’y a pas au monde de tableau plus horriblement triste et lugubre que l’entrée du Mississipi par la Balise, à travers ses monceaux d’arbres morts, ses boues, ses roseaux, ses énormes grenouilles, et ses hideux crocodiles.

Avant d’avoir vu le Mississipi, je ne m’en faisais pas une image moins séduisante que celle du Meschasébé d’Atala. Mais ce roman nous le montre sous de riantes couleurs qui ne lui vont nullement. C’est en vain que je cherchais à me reconnaître dans le pays que j’avais sous les yeux, par les descriptions du livre. J’a-