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l’Agneau pascal ; ceux du dedans, saint Michel terrassant le démon, et Adam et Ève. Les deux couples de bas-reliefs sont séparés par un double groupe sculpté de grandeur naturelle, antérieur d’un siècle au moins, et d’une merveilleuse expression. À l’extérieur, c’est le Baiser de Judas , à l’intérieur c’est l’Ecce Homo : rien de plus beau que la tête du Christ dans tous deux. L’intérieur de Saint-Michel a des défauts ; de ses cinq nefs, les trois du milieu sont égales en largeur, ce qui, vu le peu de longueur de toute l’église, produit un très mauvais effet. Il y a un transept, mais pas de rond-point ; au fond de chacune des trois nefs, s’élève un autel épouvantable, surtout celui du centre où l’on voit saint Michel au milieu d’une montagne de plâtre bouffie, destinée à figurer des nuages. En revanche il y a dans la quatrième chapelle du bas côté de la nef, à gauche, un autel du seizième siècle, qui est l’un des plus curieux monumens de transition qu’on puisse voir ; l’ogive y apparaît à peine, tout affaissée qu’elle est sous le poids des coupoles, des tourelles, des arabesques, des ornemens de tout genre, que lui impose l’imagination émancipée et capricieuse de l’artiste. Ces ornemens servent d’encadrement à trois charmantes statues, Notre Dame et l’enfant Jésus, sainte Catherine et sainte Barbe, celle-ci délicieuse, bien qu’évidemment inspirée par une beauté d’un genre tout différent de celle qui régnait sur les imaginations des siècles antérieurs ; la voûte de cette chapelle, comme celle de la nef, est très ornée et très curieuse.

La plus ancienne et la plus curieuse église de Bordeaux est celle de Sainte-Croix : fondée par Clovis ii, en 651, elle a été reconstruite dans sa forme actuelle, à une époque que les autorités les plus compétentes s’accordent à fixer à l’année 851, sous Guillaume-le-Bon, duc d’Aquitaine. C’est un monument presque unique du genre mystique, hiératique, qui a précédé l’architecture gothique, et de la transition qui y a conduit. Je ne me sens pas le droit de rien dire sur son caractère mélangé, ni sur les célèbres sculptures symboliques de sa façade, qui a été décrite, ainsi que tout le reste de l’édifice, avec autant d’exactitude que de discernement par M. Jouannet, dans l’excellente notice qu’il a insérée dans le Musée d’Aquitaine, et que vous devez connaître. Mais je serai fidèle à ma mission en dénonçant les ravages que le vandalisme a infligés à cette belle et pure église, qui, saccagée et mutilée au dehors par la terreur, a été flétrie au dedans par un goût pitoyable. On ne s’y est pas contenté de radouber toutes les sculptures des chapiteaux, les corniches, les ornemens de tout genre, avec une épaisse couche de plâtre ; on y a profité de tous les espaces que la sculpture n’avait point envahis pour y peindre des coupoles, des ciels chargés de nuages, un grand balcon dans la voûte au-dessus du