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place même fort au-dessous de l’Intrigue et l’amour. Celui qui a écrit Don Carlos, Wallenstein et Marie Stuart, ne devait pas faire grande estime de ces deux mélodrames.

Mais les mêmes idées, qui dans Schiller ressemblent à une dissertation, prennent dans Maturin la forme vivante et animée d’une légende surnaturelle, et cette différence suffirait pour établir la supériorité de Bertram sur les Brigands. Le style de Bertram n’a peut-être pas toujours le naturel et la simplicité qui conviennent au théâtre ; mais ce défaut est amplement racheté par l’éclat et l’élévation des images, par les lueurs éblouissantes dont le poète éclaire presque à chaque instant les replis les plus mystérieux de la conscience humaine. Pour la marche de l’action, c’est plutôt celle d’une épopée du moyen âge que la déduction rapide et pressée d’un drame conçu selon les exigences du goût moderne ; mais il y a des scènes dignes d’Hamlet et de Macbeth.

Quant aux craintes manifestées par Coleridge, et partagées, à ce qu’il paraît, par plusieurs de ses compatriotes, je ne les crois pas très fondées. La contagion de la poésie et de la philosophie allemandes n’est à redouter pour personne ; Londres et Paris n’ont rien à craindre du génie de Wieland ou de Kant. Les idées et les sentimens se communiquent de peuple à peuple, mais ne se greffent pas comme les fruits ; chacun n’en prend que ce qu’il veut. Quant aux imitateurs, ils ne sont pas dangereux ; c’est une race impuissante, et qui meurt sans qu’on ait besoin de la frapper. Les romans de M. de Mortonval ne sont écossais que pour son libraire, et n’acclimateront pas les digressions prolixes que repousse la précision de l’esprit français.

Pour ce qui concerne en particulier Bertram, je ne sais rien de moins allemand dans la forme. Il n’y a qu’une imagination d’origine milésienne qui puisse inventer le monologue où le héros raconte son entrevue avec le démon. Une pareille scène écrite par Schiller aurait eu un tout autre caractère.

Quoi qu’on fasse, le projet de Leibnitz ne se réalisera pas plus que le projet de l’abbé philanthrope. Une langue universelle est aussi introuvable que la paix perpétuelle. On pourra constituer l’esprit européen, mais on n’arrivera jamais à rendre uniforme l’ex-