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du moins n’en ai-je jamais vu tant d’exemples resserrés dans un si petit espace. D’abord le vandalisme destructeur de la révolution y a laissé des traces plus durables de son passage que partout ailleurs. Certes, à Paris, on a détruit absolument tout ce que l’on pouvait atteindre, et l’antique aspect de la ville gothique a été complètement effacé ; mais encore y a-t-il une sorte de pudeur à faire disparaître ce que l’on a profané, à en enlever jusqu’à la dernière pierre. Il en a été ainsi à Paris, où, sauf quelques rares exceptions, des maisons, des rues, des quartiers tout entiers ont surgi sur le site des anciens monumens. À Toulouse, au contraire, on a laissé debout, grandes, belles, presque intactes au dehors, les basiliques qu’on a outragées, comme pour perpétuer le souvenir du sacrilège. On peut être presque sûr, quand on voit de loin quelque construction grandiose du moyen âge, qu’elle n’offre de près qu’un spectacle de dévastation et de honte. Au premier abord, Toulouse présente l’aspect d’une de ces villes des paysages du quinzième siècle, dominées par une foule de clochers pyramidaux et d’immenses nefs, hautes et larges comme des tentes, plantées par une race de géans pour abriter leurs descendans affaiblis. On approche, on ne trouve qu’une ignoble écurie, un grenier à foin, un prétendu musée, d’où vous écarte en criant quelque grossier soldat.

Toulouse n’en est pas moins une ville qui mérite au plus haut point l’intérêt et l’attention du voyageur, ne fût-ce qu’à cause du grand nombre de ruines qui la parent encore, et qui ont conservé au milieu de leur humiliation tant d’imposantes traces de leur antique beauté. Mais le sentiment le plus vif et le plus fréquent que leur vue doit exciter n’en est pas moins celui de l’indignation.

Rien n’a été respecté, et l’on dirait qu’on a choisi avec une sorte de recherche les plus curieux monumens du passé pour les consacrer aux usages les plus vils. L’église des Cordeliers, bâtie au quatorzième siècle, célèbre par ses fresques, ses vitraux, par des bas-reliefs de Bachelier, élève de Michel-Ange, et l’un des meilleurs sculpteurs de la renaissance, par les tableaux d’Antoine Rivalz, par le tombeau du président Duranti, et surtout par son caveau, qui avait la propriété de conserver les corps dans leur état naturel ; cette église a été complètement dépouillée et changée en magasin de fourrages. Ceux qui sont assez heureux pour y entrer par la protection de quelque palefrenier, peuvent encore admirer l’élévation et la hardiesse des voûtes, mais voilà tout. Les croisées ont été murées ; on a comblé le caveau où l’on avait montré pendant si long-temps un corps qu’on disait être celui de cette belle Paule, si renommée par sa beauté au temps de François Ier ; qui faisait naître une émeute à Toulouse lorsqu’elle se dérobait pendant trop long-temps aux regards du peuple, et qui fut