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DU VANDALISME EN FRANCE.

récidive en face de l’Europe surprise et dédaigneuse, immoler aux préjugés les plus arriérés ce qui fait le charme d’une patrie et la gloire de l’art, c’est un crime national dont il n’y a pas d’exemple dans l’histoire. J’ignore quelle peine la postérité infligera à ce mépris stupide que nous tirons de notre nullité moderne, pour le lancer à la figure des chefs-d’œuvre de nos pères ; mais cette peine sera grave et dure. Nous la mériterons, non-seulement par nos œuvres de destruction, mais encore par les vils usages auxquels nous consacrons ce que nous daignons laisser debout. Le Mont Saint-Michel, Fontevrault, Saint-Augustin-lez-Limoges, Clairvaux, ces gigantesques témoignages du génie et de la patience du moyen âge, n’ont pas eu, il est vrai, le sort de Cluny et de Citeaux ; mais le leur n’est-il pas encore plus honteux, et ne vaudrait-il pas mieux pouvoir errer sur les débris de ces célèbres abbayes que les voir, toutes flétries et mutilées, changées en honteuses prisons, et devenir le repaire du crime et des vices les plus monstrueux, après avoir été l’asile de la douleur et de la science ? Croira-t-on dans l’avenir que, pour inspirer à des Français quelque intérêt pour les souvenirs d’un culte qu’ils ont professé pendant quatorze siècles, il faille démentir leur origine et leur destination sacrée ? Il en est ainsi cependant. On ne parvient à fléchir les divans provinciaux, les savans de l’empire, qu’en invoquant le respect dû au paganisme. Si vous pouvez leur faire croire qu’une église du genre anté-gothique a été consacrée à quelque dieu romain, ils vous promettront leur protection, ouvriront leurs bourses, tailleront même leur plume pour honorer votre découverte d’une dissertation. On n’en finirait pas si l’on voulait énumérer toutes les églises romanes, qui doivent la tolérance qu’on leur accorde à cette ingénieuse croyance. Je ne veux citer que la cathédrale d’Angoulême dont l’unique et inappréciable façade n’a été conservée que parce qu’il a été gravement établi que le bas-relief du père éternel qui y figure entre les symboles consacrés des quatre évangélistes, était une représentation de Jupiter. On lit encore sur la frise du portail de cette cathédrale : Temple de la Raison.

Et ne croyez pas que ce soit la religion seule que l’on répudie ainsi. Ne croyez pas que les souvenirs purement historiques, les souvenirs même de poésie et d’amour échappent aux outrages du vandalisme. Tout est confondu dans la proscription. À Limoges, on a eu la barbarie de détruire le monument devenu célèbre sous le nom du bon mariage. C’était le tombeau de deux jeunes époux du Poitou, partis peu de temps après leurs noces pour aller en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. La jeune femme mourut en route à Limoges ; le mari alla accomplir son vœu, puis revint mourir de douleur à Limoges. Lorsqu’on vint pour l’in-