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l’Europe et jusque sur les confins de la Laponie, on trouve partout ce culte des monumens du passé qui honore les hommes du présent ; le desir de conserver dans leur originalité primitive ces monumens a même remplacé presque partout la manie de refaire l’art païen et de rajeunir avec son secours l’art des chrétiens. La plus heureuse réaction s’est manifestée partout en faveur de la vérité historique et du respect des créations anciennes. La France seule est restée en dehors et en arrière de ce mouvement. En Italie, pays où le paganisme de la prétendue renaissance a fait le plus de progrès et jeté les plus profondes racines, on n’en lit pas moins sur la façade de la cathédrale de Naples, une inscription où le cardinal archevêque s’enorgueillit d’avoir fait réparer cette façade sans changer son caractère gothique, nec gothica delevit urbis senescentis monurnenta artium perennitati. En Angleterre, il y a plus d’un siècle que toutes les églises sont restaurées et construites sur le modèle de celles du moyen âge ; si ces copies, dont plusieurs sont très remarquables, manquent de la vie que donne l’inspiration originale, elles ont le grand mérite de la convenance et de l’harmonie avec les idées qu’elles représentent : de l’architecture religieuse, la réaction gothique a passé dans l’architecture civile ; les riches propriétaires se font bâtir des châteaux qui reproduisent exactement les types des différens âges de la féodalité, tandis que les particuliers, les corporations, les diocèses, les comtés, s’imposent les plus grands sacrifices, pour conserver dans leur intégrité tous les monumens originaux de ces âges, et pour leur rendre leur aspect primitif. Dans la pauvre Irlande, lorsque le paysan catholique peut dérober aux exactions du clergé protestant et aux clameurs de sa famille affamée quelque chétive offrande, pour la consacrer à élever une humble chapelle auprès des églises bâties par ses pères et que les tyrans hérétiques lui ont volées, c’est toujours une chapelle gothique. Jamais le prêtre de ce peuple opprimé n’est infidèle au type inspiré par le catholicisme, et lorsque la vieille foi du peuple est ramenée par la liberté dans ce modeste asile, elle y retrouve les formes gracieuses et consacrées des demeures de sa jeunesse. En Belgique, pays de véritable foi et surtout de véritable liberté, un des premiers soins du nouveau gouvernement a été d’interdire, par une circulaire aux gouverneurs de province, la destruction de tout monument historique quelconque. Dans la cathédrale de Bruxelles, on a tout récemment démoli le lourd et ridicule jubé qui, comme celui de Rouen, détruisait l’harmonie de l’admirable édifice, et on l’a remplacé à grands frais par un jubé tout-à-fait d’accord avec le style de la nef : les portes latérales ont subi la même heureuse transformation. En Allemagne, le culte du passé dans l’art et l’influence de ce passé sur les constructions modernes ont atteint un degré de popularité