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générale et publique. Comment en effet s’occuper de notre art national, de nos monumens historiques, des sublimes débris de notre passé, sans songer tout d’abord à vous qui, le premier en France, vous êtes constitué le champion de cette cause. Vous êtes descendu encore enfant dans l’arène pour elle, et depuis quatorze ans, depuis votre ode sur la Bande Noire jusqu’aux pages indignées qui ont marqué d’un ineffaçable ridicule le vandalisme royal et municipal de nos jours[1], vous avez lutté pour elle sans fléchir ; vous l’avez prise toute petite, et elle a grandi entre vos mains ; vous l’avez parée de votre talent, et dotée de votre popularité. La voilà qui prend aujourd’hui son essor ; la voilà qui fait battre une foule de jeunes et nobles cœurs ; la voilà qui s’intronise dans toutes les véritables intelligences d’artistes. Si la victoire lui reste un jour, vous ne serez point oublié, mon ami ; votre mémoire sera toujours bénie par ceux qui ont voué un culte à l’histoire et aux souvenirs de la patrie ; et la postérité inscrira parmi vos plus belles gloires celle d’avoir le premier déployé un drapeau qui pût rallier toutes les âmes jalouses de sauver l’art en France.

Vous ne voulez pas combattre seul, je le sais, vous ne dédaignez aucun auxiliaire ; vous ne demandez pas mieux, dans cette œuvre grande et sainte, que de vous associer les plus obscurs, les plus maladroits travailleurs : vous ne demandez que de l’indignation contre les barbares, de l’amour pour le passé. Je me présente à vous avec ces deux conditions. Des voyages entrepris dans un but tout-à-fait étranger à l’art m’ont fait découvrir des attentats contre lui dont je frémis encore, et que j’ai hâte de livrer à la publicité. En ce qui touche à l’art, je n’ai la prétention de rien savoir, je n’ai que celle de beaucoup aimer. J’ai pour l’architecture du moyen âge une passion ancienne et profonde : passion malheureuse, car, comme vous le savez mieux que personne, elle est féconde en souffrances et en mécomptes, passion toujours croissante, parce que plus on étudie cet art divin de nos aïeux, plus on y découvre de beautés à admirer, d’injures à déplorer et à venger ; passion avant tout religieuse, parce que cet art est à mes yeux catholique avant tout, qu’il est la manifestation la plus imposante de l’église dont je suis l’enfant, la création la plus brillante de la foi que m’ont léguée mes pères. Je contemple ces vieux monumens du catholicisme avec autant d’amour et de respect que ceux qui dévouèrent leur vie et leurs biens à les fonder : ils ne représentent pas pour moi seulement une idée, une époque, une croyance éteinte ; ce sont les symboles de ce qu’il y a de plus vivace dans mon âme, de plus auguste dans mes espérances. Le vandalisme mo-

  1. Voyez dans la livraison du 1er mars 1832 de la Revue, l’article intitulé Guerre aux Démolisseurs.