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LAURETTE.

l’eau qui remplissait mes bottes à l’écuyère comme deux réservoirs où j’aurais eu les jambes trempées.

— Vos bottes commencent à vous tenir aux pieds ? me dit-il.

— Il y a quatre nuits que je ne les ai quittées.

— Bah ! dans huit jours vous n’y penserez plus, reprit-il avec sa voix enrouée ; c’est quelque chose que d’être seul, allez, dans des temps comme ceux où nous vivons. Savez-vous ce que j’ai là-dedans ?

— Non, lui dis-je.

— C’est une femme.

Je dis : Ah ! — sans trop d’étonnement, et je me remis en marche tranquillement au pas. Il me suivit.

— Cette mauvaise brouette-là ne m’a pas coûté bien cher, reprit-il, ni le mulet non plus, mais c’est tout ce qu’il me faut, quoique ce chemin-là soit un ruban de queue un peu long.

Je lui offris de monter mon cheval, quand il serait fatigué, et comme je ne lui parlais que gravement et avec simplicité de son équipage, dont il craignait le ridicule, il se mit à son aise tout à coup, et, s’approchant de mon étrier, me frappa sur le genou en me disant

— Eh bien ! vous êtes un bon enfant, quoique dans les rouges.

Je sentis dans son accent amer, en désignant ainsi les quatre compagnies rouges, combien de préventions haineuses avaient données à l’armée le luxe et les grades de ces corps d’officiers.

— Cependant, ajouta-t-il, je n’accepterai pas votre offre, vu que je ne sais pas monter à cheval et que ce n’est pas mon affaire, à moi.

— Mais, commandant, les officiers supérieurs comme vous y sont obligés.

— Bah ! une fois par an, à l’inspection, et encore sur un cheval de louage. Moi, j’ai toujours été marin, et depuis fantassin ; je ne connais pas l’équitation.

Il fit vingt pas en me regardant de côté de temps à autre comme s’attendant à une question ; mais il ne venait pas un mot, et il poursuivit :

— Vous n’êtes pas curieux, par exemple ! cela devrait vous étonner, ce que je dis là ?