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conversions nouvelles et d’idées qui, conduites par le chant, comme Boileau l’a dit à merveille, s’en vont pénétrer bien avant et bien loin en très peu de mois. Un bon nombre de convictions timides s’exciteront sur la foi des refrains, et reprendront goût et courage à la cause de la civilisation, d’après l’autorité de leur poète. Les questions plus que politiques, les questions sociales, que tant d’esprits éminens ont tourmentées dans ces dernières années, et qui ont prêté aux conceptions, si utiles à certains égards et si méritoires, de Saint Simon, d’Enfantin et de M. Fourier ; ces questions, grâce à Béranger, circuleront maintenant parmi le peuple sous une forme intelligible et saisissante ; elles y mûriront, pour ainsi dire, sous l’enveloppe colorée dont il les a revêtues, en attendant le jour où l’enveloppe se brisera, et où les vérités à nu sortiront de l’écorce. Qu’on se figure les Contrebandiers chantés dans la montagne du Jura, Jeanne la Rousse chantée dans un village des Ardennes, le Vieux Vagabond aux guinguettes des barrières, et le Pauvre Jacques dans chaque bourgade ? Qu’on se représente l’étonnement, les larmes, les gonflemens de cœur de ces pauvres et simples gens, en trouvant pour la première fois une expression à leurs peines, à leurs vœux, et l’attitude fière et enflammée des plus jeunes ! Les sociétés populaires, démocratiques, des Amis du peuple, des droits de l’homme, etc. etc., qui, à ce qu’on assure, existent toujours, n’auraient rien de mieux à faire, au lieu des motions et harangues empruntées au porte-feuille d’Anacharsis Clootz, que d’expédier dès demain, par les villages, quelques chanteurs ambulans, avec ordre de ne quitter chaque endroit que lorsque deux ou trois garçons des plus éveillés sauraient les quatre ou cinq chansons magiques : il sera mémorable, l’instant où la population de la France les redira en chœur.

Des questions sociales, si nous passons aux politiques, à proprement parler, lesquelles ne sont pas tant à dédaigner que certains esprits soi-disant avancés se le figurent ; ces derniers jours ont produit une manifestation des sentimens publics bien imposante et qui doit donner à réfléchir. Nous ne reviendrons pas ici sur les circonstances suffisamment connues du duel de MM. Armand Carrel et Laborie. Quoiqu’il y ait eu, ce semble, dans la conduite si généreuse de M. Carrel un surcroît, pour ainsi dire, d’honneur et de valeur dont la plupart, à sa place, se seraient crus dispensés, et que les personnes modérées en toutes choses ont peut-être blâmé comme un exemple onéreux pour elles, il faut se rappeler néanmoins qu’il est des positions d’avant-garde, des existences lancées hors de ligne, et fortement engagées, pour lesquelles le trop n’est que suffisant, et auxquelles il sied d’être personnellement ombrageuses sur ce qui offense en général un parti et une cause. Ici l’effet l’a bien témoigné ; la cause qu’épousait