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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

et quand j’eus fini de secouer la poussière amassée sur mes habits, d’extirper une douzaine de petits cailloux incrustés en mosaïques dans le creux de mes deux mains : — Voilà ce que c’est, me dit-il, que d’aller à la pêche à neuf heures et demie du soir. — Et il se remit flegmatiquement en chemin.

Il y avait du vrai au fond de cette réponse égoïste ; aussi je ne jugeai pas à propos de rétorquer l’argument, quoiqu’il me parût attaquable de trois côtés. Nous continuâmes donc, pendant dix minutes à peu près, de marcher, sans proférer une seule parole, dans le cercle de lumière tremblante que projetait autour de nous la lanterne maudite. Au bout de ce temps, Maurice s’arrêta.

— Nous sommes arrivés, dit-il. — En effet, j’entendais se briser dans une espèce de ravine les eaux d’une petite rivière, qui descendait du versant occidental du mont Cheville, et qui, traversant la grande route, sous un pont que je commençais à distinguer, allait se jeter dans le Rhône, qui n’était lui-même qu’à deux cents pas de nous.

Pendant que je faisais ces remarques, Maurice faisait ses préparatifs. Ils consistaient à quitter ses souliers et ses guêtres, à mettre bas son pantalon, et à relever sa chemise, en la roulant, et en l’attachant avec des épingles autour de sa veste ronde. Cet accoutrement mi-partie lui donnait l’air d’un portrait en pied d’après Holbein ou Albert Durer. Tandis que je le considérais, il se retourna de mon côté.

— Si vous voulez en faire autant ? me dit-il,

— Vous allez donc descendre dans l’eau ?

— Et comment voulez-vous avoir des truites pour votre déjeuner, si je ne vais pas vous les chercher ?

— Mais je ne veux pas pêcher, moi !

— Mais vous venez pour me voir pêcher, n’est-ce pas ?

— Sans doute.

— Alors défaites votre pantalon. À moins que vous n’aimiez mieux venir avec votre pantalon ; vous êtes libre. — Il ne faut pas disputer des goûts.

Alors il descendit dans le ravin pierreux et escarpé, au fond duquel grondait le torrent, et où se devait accomplir la pêche miraculeuse.