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temps, c’est qu’elles étaient oubliées, il y a trois ans, par ceux même qui avaient connu les Achilles et les Hectors de cette Iliade.

Ainsi, depuis Richelieu jusqu’à Napoléon, l’art et le goût ont suivi les métamorphoses de la société ; Corneille exaltait la vertu romaine en même temps qu’un abbé duelliste et libertin, amant avoué d’une fille perdue, écrivait la Conjuration de Fiesque ; l’alexandrin de l’empire célébrait en hémistiches pompeux, en allusions diaphanes, la grandeur du nouveau monarque, tandis que le tambour battait dans les collèges, et qu’en lisant Quinte-Curce les enfans rêvaient la gloire d’Alexandre.

La restauration, qui, malgré les promesses de Saint-Ouen, espérait bien ramener le bon plaisir et les magnificences du livre rouge, devait imprimer aux mœurs et au goût français un cachet personnel. Le séjour des armées ennemies prépara l’échange des littératures ; les livres de Berlin et de Londres devinrent populaires dans les salons de Paris. Le gouvernement nouveau, qui prétendait dater du même chiffre les années de son exil et celles de son règne, en s’autorisant de l’exemple du passé, donna l’éveil aux études historiques. L’art, qui se sentait mourir, voulut avoir sa part de la curée. Il laissa aux déchiffreurs de chroniques les chartes et les arrêts, les marchés conclus entre les barons et les communes ; il prit les hauberts et les cottes de mailles, les dagues, les souliers à la poulaine, les surcots, les fleurons et les perles ; et, dans sa confiance enfantine, il crut avoir retrouvé le secret de la gloire et du génie, parce que la pompe et la variété du costume tenaient lieu aux artistes vulgaires de l’étude du dessin et des passions. L’amant de la Champmeslé et celui de la Fornarina furent proclamés inhabiles, parce qu’ils avaient poétisé la Judée et la Grèce, au lieu de reproduire les silhouettes gigantesques du moyen âge, pour se dispenser de les agrandir et de les compléter par la méditation.

Ce qui se passe, parmi nous, depuis dix-huit ans, serait la ruine irrévocable de toute poésie, s’il n’était pas dans la destinée des mouvemens extrêmes de s’épuiser en s’accélérant, si les grandes individualités, qui protestent par leur isolement contre la tendance toute réelle du drame et du roman, ne devaient pas un jour rallier les esprits blasés que le galvanisme de la littérature historique peut à peine ébranler.