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LUCRÈCE BORGIA.

publique à la colère d’Alexandre, emprisonné par son ordre, mourut de frayeur au bout de deux jours.

César prend Faenza, les duchés d’Urbin et de Bologne, tandis qu’à Rome des tribunaux vendus à son père condamnent les titulaires et légalisent effrontément la confiscation de leurs domaines. Alexandre donne à Lucrèce le gouvernement de Spolette ; à Rodrigue, fils de Lucrèce et d’Alphonse d’Aragon, le duché de Sermoneta ; à Jean Borgia son propre fils, qu’il avait eu d’une maîtresse demeurée inconnue, le duché de Nepi ; pour défrayer l’usurpation à main armée et la docile prévarication de ses juges improvisés, il prétexte une croisade, lève sur toute la chrétienté d’énormes impôts, et obtient de la seule Venise 800 livres d’or.

La récente conquête de l’Amérique avait allumé la guerre entre les rois de Castille et de Portugal : Alexandre leur partage le butin, et les décide à reconnaître César comme duc de la Romagne. Une fois en verve d’avarice, il ne s’arrête plus. Il escamote les opulentes successions des cardinaux de la Rovère, de Capoue et de Zeno ; il vend les indulgences avec profusion ; le gibet et le bûcher réduisent au silence Savonarole, Luther avorté. — Les envahissemens de toutes sortes semblaient avoir assuré pour long-temps l’autorité pontificale, et les querelles survenues, dans le royaume de Naples, entre les Français et les Espagnols, préparaient sans doute au pape rusé quelque nouvelle et magnifique aubaine, lorsqu’il mourut le 18 août 1503, empoisonné, à ce que dit Guichardin, par un breuvage qu’il destinait au cardinal Adrien Corneto, dont il voulait recueillir l’héritage sans testament.

Telle a été la vie d’Alexandre vi et de sa famille, dont le sort tout entier fut lié à sa volonté.

Ainsi le chef de cette famille si honteusement célèbre, prince accompli selon Machiavel, mêla sa destinée aux plus illustres de son temps. Par l’habileté de ses négociations, par ses innombrables tergiversations, il sut tenir en échec les premiers trônes de l’Europe. Non-seulement il abusa la crédulité bourgeoise de Louis xii, mais il sut jouer jusqu’à Ferdinand-le-Catholique, le plus roué de tous les rois qui faisaient sa partie.

Le rôle d’Alexandre vi, commencé la même année que celui du navigateur génois, se termina presque à la veille des prédications