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LUCRÈCE BORGIA.

tache à cette qualité, les images, en tant qu’images, estimées en elles-mêmes et pour elles-mêmes, pour l’éclat éblouissant de leurs couleurs, non pas comme symbole, comme pouvant traduire la vérité de Newton par la beauté d’Homère, mais comme ayant une valeur individuelle, indépendante de l’idée qu’elles devraient envelopper.

Telle est, à mes yeux du moins, la théorie générale du génie lyrique de M. Hugo, théorie qui explique avec une grande précision, pourquoi Notre-Dame, aussi bien qu’Hernani et Marion, aussi bien que les Orientales et les Feuilles d’automne, n’est qu’un recueil de strophes à qui la rime seule a manqué pour compléter l’identité extérieure.

Cette fois-ci encore, M. Hugo a pris dans l’histoire le baptême de son idée. Mais sa condescendance pour la réalité a-t-elle été au-delà du baptême ?

Qu’était-ce que la famille Borgia au quinzième siècle, et quel rôle a-t-elle joué dans l’histoire de l’Italie et de l’Europe ?

En posant cette question sous une forme générale et presque absolue, je sais très bien que j’expose ma pensée à deux chances de ridicule. Les savans m’accuseront d’ignorance, et demanderont à quoi sert de résumer en quelques lignes tous les évènemens dont l’Italie fut le théâtre pendant les dix dernières années du quinzième siècle ; les poètes traiteront cavalièrement de fatuité les divisions dramatiques que je tenterai d’établir dans l’histoire. – J’ai d’avance assuré ma raison contre ces deux dangers, et je déclare, en toute humilité, qu’en publiant ces réflexions, je ne prétends qu’au titre de critique, et nullement à celui d’historien ou d’inventeur. — J’étudie, je compare, je propose mes doutes ; qu’on les prenne pour ce qu’ils valent. Si j’étais capable d’affirmer, je prendrais un parti décisif, j’imaginerais. Puisque je m’en tiens à la délibération, c’est qu’apparemment je fais abnégation de toute vanité.

La fortune et le rôle de la famille Borgia, qui a laissé dans les annales italiennes un souvenir de sang et de honte, représente, dans le mouvement général des idées européennes, quelque chose d’analogue aux tentatives politiques du pouvoir anglais, espagnol et français vers la même époque. Alexandre vi, à peine assis sur le trône pontifical, conçut un projet pareil à celui de Louis xi, de