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réverbères seuls balançaient encore leur clarté pâle sur la boue des pavés.

Quelques figures cachées sous des manteaux ou protégées par des parapluies se croisaient pourtant encore et passaient devant moi, sur la chaussée de dalles.

Je remarquai bientôt qu’une femme, dont je ne pouvais distinguer les traits, et qui, lorsqu’il ne venait personne, se tenait adossée vis-à-vis de moi contre un arbre, s’avançait vers chacun de ces rares passans et les suivait avec d’instantes prières.

— La malheureuse ! disais-je en moi-même, il lui coûte cher à gagner ce pain honteux qu’elle vient ramasser ici dans la fange.

Je me méprenais cruellement.

Un homme qu’elle venait d’accoster, le seul qui ne l’eût pas d’abord brutalement repoussée depuis que j’étais là, s’arrêta avec elle tout près de moi sous l’auvent qui m’abritait, de sorte que je pus les voir et les entendre l’un et l’autre. Elle, c’était une femme jeune encore, mais pâle, défaite et mal vêtue. Elle avait au bras gauche un grand panier d’osier, et tenait de la main droite deux petits bouquets de violette.

— Oh ! mon bon monsieur, disait-elle d’une voix suppliante, prenez-les-moi ; ce sont mes deux derniers. Je vous les donnerai tous les deux pour un sou.

Tous les deux pour un sou ! Deux bouquets de violette embaumés pour un sou ! Au mois de décembre ! C’était une occasion.

Le bon monsieur tira de son gousset une pièce de deux sous, et sans la lâcher, prenant les deux bouquets dit à la pauvre femme : — Rendez-moi un sou.

Elle fouilla dans son panier et chercha au fond quelques instans, et parmi de misérables croûtes de pain, ce sou qu’elle n’avait pas peut-être. Mais le monsieur, impatienté sans doute d’attendre si long-temps sa monnaie, lui rendant brusquement ses deux bouquets, partit en murmurant avec sa pièce de deux sous.

La pauvre femme, joignant les deux mains et levant les yeux au ciel, retourna s’appuyer contre son arbre.

Alors moi, saisi comme d’une inspiration soudaine, je m’approchai d’elle précipitamment, et jetant dans son panier toute cette monnaie dont ma poche était pleine :