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prêté serment de fidélité avaient été pris les armes à la main, combattant contre lui.

Lors de la grande famine de 1811 à 1812 ses finances étaient épuisées ; cependant il trouva moyen de venir au secours des pauvres de Madrid, en réduisant au strict nécessaire toutes les dépenses de sa maison. Tant que dura la famine, il fit servir sur sa table un pain noir et grossier, voulant, disait-il, manger du pain des pauvres. Il ajoutait en souriant : pan de soldado, pan de rey, pain de soldat, pain de roi.

Je n’étonnerai aucun de ceux qui ont approché le roi Joseph en parlant de ses talens militaires. Le vainqueur de Fleurus, le maréchal Jourdan, dont on ne contestera pas, sans doute, l’autorité en pareille matière, a dit plus d’une fois à mon père que dans la discussion des grandes opérations stratégiques, Joseph avait des conceptions qui semblaient émanées du génie de Napoléon. L’illustre général Lamarque n’accordait pas une estime moins grande à la capacité militaire de l’ancien roi de Naples et d’Espagne. Dans une lettre écrite en 1824, et qu’on ne peut croire dictée par la flatterie (on ne flatte guère les rois tombés), il appelle encore son maître et son général le prince dont il avait été le chef d’état-major.

Joseph Napoléon a été l’objet de jugemens bien divers, et rarement il a été dignement apprécié. J’aurai, dans le cours de ces mémoires, de fréquentes occasions de parler de sa personne d’après mes souvenirs, et de son gouvernement, d’après ma pensée ; je le ferai avec franchise et vérité, et si je loue souvent, c’est qu’il y aura beaucoup à louer. Il est temps, selon moi, de replacer à sa place et de dessiner avec quelque souci de la ressemblance cette remarquable figure historique de Joseph. Ce n’est pas, certes, un des moindres personnages de notre dix-neuvième siècle que celui qui a été tour à tour don Jose primero et le comte de Survilliers, que ce bourgeois américain qui a été roi des Indes. Je suis du nombre de ceux qui pensent que le frère d’un grand homme ne doit pas toujours être éclipsé dans l’histoire par le grand homme, et qu’il y avait un général dans ce frère de Bonaparte, un roi dans ce frère de Napoléon.


Abel Hugo.

(La suite à la prochaine livraison.)