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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

de lui, et il y avait réussi. On comptait, parmi ses généraux et dans sa garde, un assez grand nombre de ces républicains persévérans, dont les opinions, parfois franchement exprimées, n’effarouchaient pas ce roi sorti d’une république, et disposé peut-être lui-même à rendre intérieurement hommage au principe de la souveraineté populaire.

En attendant le moment de l’arrivée du roi, Aristizabal me fit admirer les tableaux qui décoraient la salle où nous étions : on y voyait, entre autres, une fort belle copie d’un tableau de David, celui où il a représenté le général Bonaparte franchissant les Alpes sur les traces effacées d’Annibal et de Charlemagne. J’aurais cru que cette peinture avait été placée dans le palais, depuis que Joseph était monté sur le trône d’Espagne. Aristizabal me détrompa, il avait vu accrocher le portrait du premier consul à la place qu’il occupait encore, et c’était Charles iv lui-même qui avait présidé à cette inauguration. Brave roi, qui ne s’apercevait pas que mettre ce portrait dans cette salle, c’était en ôter son trône !

Pendant les années qui précédèrent l’invasion, et même encore au moment de l’entrée en Espagne des Français, commandés par le grand-duc de Berg, l’enthousiasme des Espagnols pour Napoléon était à son comble. Son nom était dans toutes les bouches, ses portraits et ses bustes dans toutes les maisons. On ne l’appelait que le héros de la France, le restaurateur de la religion, le vainqueur de la révolution. On exaltait son despotisme, ami et peut-être fondateur de l’ordre ; on vantait ses grandes qualités administratives, on célébrait son génie militaire. Ses victoires en Égypte le rendaient populaire dans un pays où la haine des Musulmans a été long-temps un des traits distinctifs du caractère national. La partie la plus éclairée de la nation, indignée de la décadence de la monarchie, sous le favoritisme de Godoy, et des désordres de la cour de Charles iv, attendait de l’influence de l’empereur des Français sur le vieux monarque espagnol, une régénération féconde et une sage liberté. C’est entraîné par cette opinion, commune à tous les hommes vraiment patriotes, et aussi dans l’espoir de s’assurer un appui contre les violences du favori, que Ferdinand, en 1807, écrivit à Napoléon pour lui demander la main d’une de ses nièces. Aristizabal m’a souvent cité comme une preuve vivante de l’en-