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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

breux, chefs-d’œuvre de Raphaël, de Michel-Ange, de Paul Véronèse, de Tintoret, du Corrége, du Poussin, de Velasquez, de Murillo, de Vandick, etc. ; ce sont les plafonds et les fresques du Titien, du Bassan, de Luc Giordano et de Raphaël Mengs.

À mon entrée dans le salon, où la place des pages était marquée, je fus un peu surpris du grand nombre d’officiers et de fonctionnaires de l’ordre civil ou de la maison du roi qui y étaient pressés. Les Français ne paraissaient pas y être en majorité, autant du moins que j’en pouvais juger par les conversations particulières que j’entendais autour de moi, et qui, presque toutes avaient lieu en langue castillane. Mon étonnement cessa lorsque M. Rancaño m’eut prévenu qu’à moins de circonstances extraordinaires, le roi Joseph parlait toujours en espagnol aux personnes admises à ses réceptions publiques.

Aristizabal, élevé à la cour de Charles iv et accoutumé au faste du palais, n’était pas frappé comme moi de l’éclat et de la richesse des costumes. Il prétendait même que les baise-mains de l’ancien roi réunissaient une assemblée plus nombreuse et plus magnifique. Dans ces grandes journées de cérémonie, le roi, la reine, assis sous le dais royal, et entourés de leur famille, attendaient les hommages des personnes admises à la cour, et qui devaient passer successivement devant le trône. Le souverain, la reine, les princes et les princesses se levaient à l’approche d’un noble revêtu de la grandesse[1] et l’embrassaient affectueusement. Quant aux marquis, aux comtes, aux barons qui n’étaient pas grands d’Espagne, aux titulos de Castilla, aux fonctionnaires de tous les ordres, et au reste des cour-

  1. Les grands d’Espagne avaient le droit de se couvrir devant le roi, mais ce droit n’appartenait pas à eux seuls ; il était aussi attribué par une ancienne coutume, respectée sous les dynasties autrichienne et française, à tous les cavaliers, qui, amoureux des filles d’honneur de la reine, étaient admis à leur faire la cour dans le palais même, et à les rechercher en mariage. Ces amoureux avaient non seulement le privilège de se couvrir devant les personnes royales, mais encore celui de s’asseoir, pourvu toutefois que leurs maîtresses fussent présentes. On les traitait comme des fous, et on appelait leur droit privilegio de embebecidos. La galanterie espagnole supposait que, préoccupés entièrement de leur passion, ils étaient incapables de s’astreindre au cérémonial de la cour, et de rendre au souverain le respect qui lui était dû.