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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

ministration, vraiment paternelle et dirigée dans l’intérêt du pays, s’attaquaient à sa personne même. Pour exciter contre lui l’animadversion des classes infimes de la nation, il n’est sorte de calomnies odieuses, d’absurdes imputations qu’ils ne cherchassent à répandre. Ils allaient jusqu’à lui supposer des infirmités corporelles ou des habitudes grossières ; ils représentaient ce prince, qui est un homme d’une figure agréable, d’une belle stature et d’une sobriété peu communes, comme un monstre difforme, adonné à l’ivrognerie ; ils l’appelaient injurieusement el Rey tuerto, Pepe Coxo, Pepe Botellas, etc. Le peuple de Madrid savait à quoi s’en tenir sur la valeur de ces ridicules imputations, mais elles obtenaient quelque crédit dans les provinces éloignées de la capitale, et servaient ainsi la haine des ennemis du roi.

Les Espagnols aiment d’ailleurs les sobriquets et les jeux de mots. Les insurgés, comme on sait, appelaient rarement leurs chefs eux-mêmes par leur nom de famille ; des surnoms tirés le plus souvent de leur ancien état ou de quelque défaut corporel servaient à les désigner : ainsi c’étaient el Manco (le manchot), el Cura (le curé), el Pastor (le berger), el Empecinado (l’empoissé), etc. On doit bien penser qu’ils usaient d’une liberté plus grande en parlant de leurs ennemis. Napoléon, que les auteurs dramatiques des villes où siégeaient des juntes insurrectionnelles, faisaient figurer au théâtre sous les traits de Satan, était toujours appelé par la populace de Madrid Napoladron.

Le jeu de mots que je vais citer peut donner une idée du genre d’esprit des plaisanteries espagnoles de cette époque. Tout le monde sait que Napoléon avait au nombre de ses aides-de-camp, M. Mouton, aujourd’hui maréchal de France, et commandant en chef de la garde nationale parisienne. Les Madrileños, jouant sur le titre de comte de Lobau, donné au général, disaient que la puissance de l’empereur était en effet bien grande, puisque d’un mouton, il avait pu faire un loup (en espagnol lobo), de un carnero ha hecho un lobo.

J’ai dit que le palais de Madrid s’élève à l’extrémité de la place ouverte par ordre de Joseph.

Il a été construit sur l’emplacement autrefois occupé par l’ancien palais des rois de la dynastie autrichienne. Ce palais, brûlé