Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
REVUE DES DEUX MONDES.

sol de la Guyane, il est évident que du jour où la population civilisée s’avancera vers l’intérieur, leurs tribus, déjà plus que décimées, achèveront promptement de s’éteindre. Tel a été le sort des nations guerrières des États-Unis, et à plus forte raison, tel doit être celui des peuplades inoffensives de la Guyane française. Les blancs, il est vrai, ont perdu cet esprit d’enthousiasme et d’entreprise aventureuse qui faisait des premiers conquistadores autant de géans. Mais s’ils ne promènent plus, comme autrefois, le fer et le feu d’une extrémité de l’Amérique à l’autre, ils n’en détruisent pas d’une manière moins sûre les Indiens, en leur communiquant des vices qu’ils ignoraient. Tout ce que ces derniers y ont gagné est une mort plus lente. Les efforts sincères de l’administration de la colonie pour les protéger, pourront bien prolonger leur existence, mais non les dérober au sort inévitable qui les attend. La vie civilisée et la vie sauvage sont tellement incompatibles entre elles, qu’elles ne peuvent exister simultanément sur le même sol, et dans cette lutte, la victoire n’est jamais douteuse entre la civilisation, but définitif de l’homme, et la vie indienne, son état primitif : c’est un combat entre un homme fait et un enfant.

Les Indiens conservent encore les principaux traits du caractère sous lequel les ont dépeints les premiers historiens de l’Amérique : ils sont, comme alors, apathiques, indolens, tant que le besoin ne réveille pas leur activité ; habituellement silencieux avec des momens assez fréquens de gaîté ; toujours calmes entre eux, même dans leurs discussions ; tour à tour sobres et se plongeant dans la débauche la plus outrée ; patiens contre la douleur et mourant sans crainte et sans se plaindre. On a généralement attribué la mélancolie, qui forme le fond de leur caractère, à la solitude profonde et à la sombre majesté des forêts au milieu desquelles s’écoule leur existence ; mais je crois qu’à cette cause première il faut ajouter un sentiment vague de leur état présent comparé à ce qu’il était avant l’apparition des Européens parmi eux. Trois siècles n’ont pas encore suffi pour effacer complètement de leur esprit le souvenir des cruautés qui accompagnèrent la conquête, et leur dégradation actuelle est là pour le maintenir toujours présent à leur pensée, même à leur insu. La fin tragique de leurs derniers Incas arrache encore aujourd’hui des larmes aux Indiens du Pérou dans les re-