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malgré l’obscurité et la pluie qui n’avait cessé de tomber avec violence.

Les obstacles que présente le Yarupi pour la navigation étant de même nature que ceux de l’Oyapock, je passe sous silence les difficultés sans nombre que nous eûmes à vaincre les jours suivans. Elles furent telles que nous ne pûmes chaque jour faire plus de trois lieues. Outre des barrages et des roches sans fin, nous fûmes obligés d’escalader cinq sauts, dont le plus considérable n’avait pas moins de quarante pieds de hauteur, et nous faillîmes plusieurs fois perdre nos canots. L’adresse des Indiens nous préserva seule de cet accident qui nous eût obligés de gagner par terre, à travers les forêts, le premier endroit habité, en abandonnant tout le bagage que nous avions avec nous. Enfin le 27 novembre, à l’entrée de la nuit, nous arrivâmes chez Paranapouna que nous connaissions déjà pour l’avoir vu chez Tapaïarwar dans l’Oyapock. La réception qu’il nous fit est assez curieuse pour mériter que j’en dise un mot. Nous le trouvâmes, ainsi que tous les membres de sa famille, étendu nonchalamment dans son hamac, et il nous reçut gravement sans se lever. Nous lui demandâmes la permission de passer quelques jours chez lui, ce qu’il nous accorda avec le même air d’indifférence. Puis tout à coup, au moment où nous y pensions le moins, il s’élança brusquement de son hamac et se mit à parcourir le carbet à grands pas, en prononçant un discours accompagné d’éclats de voix et de gestes si extraordinaires, qu’il paraissait parler une autre langue que la sienne. Cette harangue dura une demi-heure, au bout de laquelle il se recoucha paisiblement comme si rien ne se fût passé. Nos Indiens, qui nous servaient d’interprètes, nous expliquèrent le motif de cette scène imprévue ; notre hôte reprochait à ses fils leur paresse, qui le laissait sans gibier ni poisson, et le mettait hors d’état de rien offrir aux blancs qui venaient lui rendre visite. Ces reproches n’étaient que trop fondés ; mais ils ne furent pas sans résultat, et pendant tout le temps que nous restâmes chez Paranapouna, ses deux fils furent chaque jour à la chasse, et ne nous laissèrent pas manquer de gibier. Les présens nombreux que nous fîmes aux jeunes chasseurs ne contribuèrent pas peu sans doute à les maintenir dans ces bonnes dispositions.

Malgré les grains qui tombaient chaque jour, nous allions nous-