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LITTÉRATURE SANSCRITE.

dans le présent, les facultés et les passions de l’homme ; dans l’avenir, sa destinée, celle de l’univers, et par-dessus tout ses rapports avec l’Intelligence suprême d’où tout émane et où tout rentre : c’est là l’inépuisable sujet de ces profondes spéculations philosophiques, où les faits de toutes les sciences viennent se confondre, la physique et la psychologie, l’histoire naturelle et la métaphysique, mais où l’analyse moderne ne peut s’empêcher d’admirer la grandeur de la pensée et l’originalité de l’invention.

Ces habitudes méditatives, qui supposent, en même temps qu’elles développent les facultés les plus puissantes de l’intelligence, n’ont pas exclusivement occupé les sages de l’Inde, et, en les transportant dans la sphère idéale des abstractions, elles ne les ont pas laissés froids et insensibles à la vue des émotions de l’âme humaine, dont le spectacle éveille, chez tous les peuples, le sentiment de la poésie. Les Indiens ont été poètes autant que philosophes, peut-être même n’ont-ils été philosophes que parce qu’ils étaient poètes. Chez eux, toute idée s’anime des couleurs de la poésie, et tout discours y est presque un hymne. Un idiome abondant et flexible prête aux chants du poète un fonds inépuisable d’images et de formes. Dans l’expression l’éclat ou la simplicité, dans la pensée le naturel ou la grandeur, ce sont là quelques-uns des caractères de cette poésie si étincelante, dont on sent plus aisément qu’on n’en définit les beautés. Elle comprend les genres les plus variés, depuis l’expression des idées abstraites des Védas jusqu’à ces jeux d’esprit, qui auraient déjà par eux-mêmes bien peu de mérite, quand ils ne seraient pas encore la triste preuve de la décadence d’une littérature. L’épopée, le drame et l’ode y ont leur place ; et le génie qui a produit tant d’ouvrages, dont quelques-uns passeront aux yeux des nations les plus polies pour des chefs-d’œuvre, en fixant d’une manière critique les lois de ces compositions diverses, a donné, en quelque sorte, un dernier témoignage de sa force, et a montré que, si un heureux instinct avait pu les faire naître, une analyse ingénieuse savait aussi les apprécier et en rendre compte.

Au milieu de si nombreuses richesses, on éprouve un regret, c’est de ne pas y trouver l’histoire de la nation dont elles feront à jamais la gloire. Nous ignorons, en effet, à peu près complètement