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Née d’hier, l’étude du sanscrit a déjà pris le premier rang parmi les objets les plus dignes de l’attention du philosophe et de l’historien ; et cet avantage, elle le doit moins à sa nouveauté même, qu’au nombre et à l’importance des problèmes qu’elle fait naître. De quelle surprise n’eût pas été frappé Leibnitz, qui, avec l’instinct du génie, devinait, il y a cent vingt ans, la parenté commune des dialectes de l’Europe, et cherchait à en retrouver le berceau en Asie, si on lui eût montré qu’au-delà de l’Indus s’était conservée une langue d’une structure admirable, riche en productions littéraires de tous genres, et qui présentait les analogies les plus frappantes avec le grec, le latin et les dialectes germaniques et slaves ! Cette langue, les Anglais nous l’ont fait connaître : c’est le sanscrit des Brahmanes. Les liens de parenté qui l’unissent aux idiomes de l’Europe savante sont incontestables, et ce résultat, le plus singulier de ceux qu’ait obtenus de nos jours la philologie, est aussi le plus évidemment démontré.

Vous pressentez déjà quelle immense carrière ce fait inattendu ouvre aux spéculations ethnographiques et historiques. Non-seulement la découverte de l’affinité du sanscrit avec le grec, le latin, le slave et le celtique, a introduit un principe nouveau dans la classification des langues de l’Asie et de l’Europe, en substituant l’observation des rapports réels à la divination des ressemblances imaginaires ; elle a encore soulevé un des problèmes les plus intéressans sur lesquels la critique historique soit appelée à s’exercer. Quelles causes peuvent expliquer les rapports d’idiomes séparés les uns des autres par de si vastes espaces ? Une migration puissante, partie des bords de l’Indus et du Gange, aurait-elle répandu sur la surface de l’Europe une langue unique, qui, soumise dès-lors à des influences diverses, se serait ainsi modifiée, et en aurait formé de nouvelles, dont les nôtres ne sont que les débris ? Peut-on reconnaître par la comparaison des idiomes européens et de celui que cette migration dut apporter avec elle, les traces d’un ancien langage propre à l’Europe, et auquel la langue plus perfectionnée de l’Asie se serait mêlée ? D’un autre côté, cette langue, au lieu d’être la mère des dialectes européens, n’en serait-elle que la sœur, et leur origine commune devrait-elle être rapportée à un idiome inconnu, et rejetée dans un passé impénétrable, parce