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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

leur cautionnement, s’ils en ont le moyen. Ce cautionnement est à lui seul une assez grande entrave, et je n’ai pu qu’être surpris, je l’avoue, d’entendre l’orateur éloquent que j’ai déjà cité, voter à la fois pour le maintien du cautionnement, et nous dire que la liberté devait être égale pour tous. Comment serait-elle égale pour tous, si l’on attache à l’exercice de cette liberté des conditions que la majorité ne peut pas remplir, et qui forment par là un privilége pour la minorité ?

« Il est vrai que le même orateur nous a dit qu’il fallait concentrer les journaux dans les classes élevées et éclairées. Messieurs, je ne connais point en France de classe plus élevée que la totalité des Français ; et, quant aux classes éclairées, je crois que tous les Français, sauf ceux qui ne savent malheureusement ni lire ni écrire ; sont assez éclairés pour qu’on leur permette de publier leur opinion, dont ensuite la majorité des électeurs juge, et dont, s’il y a lieu, elle fait justice. »

Ce fut la fin. Il parla encore une fois, dans l’affaire de M. de Lameth, et mourut. La chambre entière, Paris tout entier, assistèrent à ses obsèques, mais parmi ceux de ses anciens amis qui suivaient son convoi, j’en vis qui avaient peine à dissimuler le contentement qu’ils éprouvaient d’être débarrassés d’un tel adversaire. Quelques rumeurs qui sont peut-être allées jusqu’à vous, monsieur, vous feront lire ce dernier mot avec surprise. On vous aura dit que Benjamin Constant avait contracté avec le gouvernement de juillet un de ces engagemens secrets qu’il est bien difficile de rompre. Vous avez dû remarquer que je cache peu la vérité, de quelque nature qu’elle soit, et aussi que je suis souvent à même de la connaître. Loin de détourner vos soupçons, je vous dirai donc que ces bruits sont très fondés, et que Benjamin Constant reçut, pour s’affermir dans son adhésion à la royauté de Louis-Philippe, une somme de deux cent mille francs dont il avait grand besoin, mais que j’aurais bien voulu lui voir arriver d’une autre source, fût-ce même du jeu, comme sa maison qui le rendit éligible. Sans doute, elle est honteuse cette offrande secrète, et c’est une triste misère que cette somme glissée sourdement dans la main de ce pauvre grand homme, tandis qu’on aurait dû la lui présenter comme une rémunération nationale, à la face du peuple, et dans un vase d’or pareil à celui