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poussière. Mahmoud l’a senti pour les Musulmans. Les cafés étaient à Constantinople un point matériel de réunion. Il les a fermés. Les journaux sont à Paris un point de réunion, de sympathie morale : détruisons les journaux ; mais les attaquer de front serait dangereux, Bonaparte a péri pour avoir choqué les habitudes de la France, et l’Europe dit l’avoir vaincu, parce que la France l’a abandonné. Je suivrais donc une route moins directe, et ma ruse viendrait au secours de ma tyrannie. Je soumettrais les journaux à une organisation inexécutable, et je voudrais de plus que cette organisation fût sans garantie. Lors même qu’ils auraient rempli des conditions difficiles et multipliées, l’autorité la plus subalterne, en affectant le moindre doute, pourrait les suspendre à volonté. »

Abandonnant cet ingénieux mouvement oratoire, il s’écria tout-à-coup : « Je vous ai dit, messieurs, ce que je ferais, voyons maintenant ce que propose le ministère. Ne prolonge-t-il pas le dépôt ? Ne motive-t-il pas cette prolongation sur la nécessité d’un examen préalable ? Ne dit-il pas que cet examen qui consacre la saisie du premier exemplaire, n’est pas une censure, puisqu’il n’empêchera pas la publicité ? La publicité de quoi ? De l’ouvrage dont le premier exemplaire sera saisi à la porte de l’imprimerie par la patrouille grise qui exécutera votre loi ? Encore un mot. À qui confierez-vous cet examen préalable ? Dans un pays où un seul imprimeur de la capitale publie quatre cent soixante mille volumes par an, le ministère public pourra-t-il les lire ? Non, certes ; vous appellerez donc ces censeurs anciens, si courbés sous l’opprobre, qu’ils auraient renoncé à leur salaire, s’ils n’avaient obtenu le bienfait de l’anonyme ; et vous descendrez plus bas encore : car chacun d’eux repousse aujourd’hui ces fonctions indignes. Par qui les remplacerez-vous ? Qui chargerez-vous de faire ce que nul ne veut avouer ? Les agens provocateurs, les espions, peut-être quelques-uns des libellistes dont les pamphlets vous servent de prétexte : car il en est plusieurs qui, sortis des cavernes de la police pour causer du scandale, y sont rentrés pour être impunis. Ce sera donc la police, la fraction la plus avilie de la police qui prononcera sur les lumières, sur la pensée, sur la gloire littéraire de la France ! Je ne désespère pas de voir un échappé des bagnes juger Montesquieu.