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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

cun sait que la presse n’est autre chose que la parole étendue et agrandie ; que les mêmes crimes et les mêmes délits peuvent se commettre et par la presse et par la parole ; que l’une et l’autre ne sont coupables que lorsqu’elles font partie d’une action coupable, et que des ministres, qui restreindraient en France la liberté légitime de la presse, ne différeraient en rien du despote farouche qui sévit à Constantinople contre la parole, parce que la parole est à Constantinople ce que la presse est en France. Ces ministres, dis-je, ne différeraient en rien du tyran de Byzance, sauf qu’ils seraient plus en guerre ouverte contre leur siècle, en hostilité contre leur nation, en infractions contre leurs sermens, en révolte contre les lois du pays.

« Chacun sait encore que ce n’est point pour l’avantage des écrivains que la liberté de la presse est nécessaire. Elle est nécessaire comme la parole aux citoyens de toutes les classes. S’ils ont besoin de pouvoir appeler à leur secours, quand on les attaque, sur la grande route, ou qu’on brise de nuit les portes de leur domicile, ils ont besoin de pouvoir réclamer, par la presse, contre l’arbitraire s’il les frappe, et la spoliation si elle les atteint.

« La cause de la presse est celle des rentiers quand on leur fait banqueroute, des innocens quand on les arrête, ou qu’on les envoie enchaînés dans de lointains cachots ; des commerçans quand on les ruine par une politique fausse et déplorable ; des protestans quand, sous de vains prétextes, on suspend l’exercice de leur culte ; des employés quand on les destitue en les calomniant ; de tous les Français, enfin, quand on traîne la dignité nationale aux pieds de l’étranger, et qu’on se plaît à se montrer complice de l’arrogance qui insulte à notre gloire, après avoir, pendant quatorze ans, brigué l’honneur de partager des chaînes que nous portions avec impatience. La France sait toutes ces choses. Les redire, serait la fatiguer et fatiguer la Chambre. Je me suis tracé une autre route, je me suis demandé ce que je ferais si j’avais conçu le dessein d’anéantir la liberté de la presse. Employant dans un sens contraire aux habitudes de toute ma vie, le peu de sagacité que le ciel m’a donné, j’ai tâché d’ourdir un projet bien machiavélique et bien oppressif, et j’ai comparé ensuite ce que j’aurais pu inventer de mieux en ce genre, et ce que le ministère nous a proposé. C’est le