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sens que la cause que j’ai défendue rencontre des préventions. Je les conçois. Mais, je le répète, tout a ses inconvéniens, et la sagesse consiste à supporter ces inconvéniens, quand ils sont légers, et accompagnés de grands avantages. Votre justice aura remarqué que j’ai renoncé volontairement à tous les raisonnemens que m’aurait fournis la connexité du projet actuel avec celui qui menace la presse, et comme industrie, et comme source de lumières et appui de la civilisation. J’aurais pu vous montrer le ministère acharné contre le plus beau présent que la Providence ait fait à l’homme, essayant déjà, par une loi rusée, avant l’assaut général qu’il va tenter contre la pensée, d’arracher à l’espèce humaine le bienfait dont elle se félicite depuis quatre siècles. Mais le moment n’est pas éloigné où nous pourrons attaquer ce projet de front, et où la France apprendra si ses habitans, la gloire et l’ornement de l’Europe, seront traités comme les esclaves des Scythes, auxquels leurs maîtres crevaient les yeux, pour les faire travailler à leur profit.

Dans la discussion qui suivit celle-ci, au sujet de la loi de la presse, présentée par M. de Peyronnet, Benjamin Constant défendit sa liberté chérie avec plus d’ardeur encore. C’était aux premiers jours du mois de février, pendant la rigueur de l’hiver, et il était venu à six heures du matin, avant le jour, dans les bureaux de la Chambre, pour se faire inscrire un des premiers, comme devant porter la parole contre le projet. Au risque de me rendre bien diffus, je veux encore vous donner une idée de ce discours, et le rappeler à d’autres personnes : « Nous sommes certains, dit-il, que tous les esprits, je ne dis pas éclairés, mais doués des lumières les plus simples et les plus communes, tous les cœurs généreux, toutes les âmes non pas élevées, mais susceptibles de quelque pitié pour les classes qu’on dépouille de leur subsistance et que l’on condamne à mourir de faim, applaudiront à nos paroles. Peut-être seulement les trouveront-elles trop peu sévères, et surtout dans cette Angleterre qu’on nous cite pour en extraire quelques abus, et pour colorer quelques sophismes, il n’y aura pas un homme qui ne s’étonne que, hors de l’Asie esclave ou de l’Afrique sauvage, il y ait un pays où de pareils projets soient conçus. Cette discussion présente néanmoins une difficulté. Les principes sur lesquels repose la liberté de la presse sont généralement reconnus et admis. Cha-