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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

le publiciste effrayé, alla se cacher chez le ministre d’Amérique, où l’envoyèrent M. de Tracy et M. de Lafayette. De là, accompagné d’un consul américain, il se rendit à Nantes ; mais ayant appris à Ancenis que Nantes s’était déclaré pour Napoléon, et que le préfet, M. de Barante, était en fuite, il revint à Paris, déjà fort rassuré sur les craintes qu’il avait éprouvées pour sa personne. Il avait raison de se rassurer, car un matin, au lieu des gendarmes qu’il attendait, il vit entrer chez lui le général Sébastiani, M. Degérando et deux autres personnes ; ils venaient l’engager à se rallier, avec tous les bons esprits, à Napoléon, qui était décidé, disaient-ils, à donner un gouvernement libre et représentatif à la France. On l’attira ainsi aux Tuileries à force d’agaceries, et là, la parole séduisante de l’empereur fit le reste. Le duc de Bassano, Régnault de Saint-Jean-d’Angély, Rovigo, Andréossy, Defermon, l’entourèrent, et il se laissa entraîner à travailler à l’acte additionnel, qui excita si fort l’indignation publique.

Voilà, dans tout son jour, la conduite de Benjamin Constant à cette époque. Je ne m’arrêterai pas niaisement à la justifier. On ne vieillit pas impunément au milieu des hommes politiques d’une révolution, on n’assiste pas au secret des affaires, sans y laisser une partie de son âme et de son enthousiasme pour la justice et la vérité. Benjamin Constant était d’ailleurs un homme de transaction et d’accommodement. Il avait défendu le dernier la liberté au Tribunat contre Bonaparte, et il se présentait quinze ans après devant le même homme, pour lui disputer pied à pied le terrein. Il avait vu jadis le peuple se précipiter aux genoux du jeune général, et lui offrir à mains jointes sa liberté ; il se défiait encore de ce peuple, et il crut avoir beaucoup fait en arrachant à Napoléon les concessions de l’acte additionnel. L’opinion publique l’a rudement puni de cette erreur, car l’opinion ne tient compte aux hommes de cette espèce, ni de leur entraînement, ni des entraves qui les entourent, ni surtout des séductions de l’amour ; et, à ses yeux, Benjamin Constant fut inexcusable. Son inscription sur la loi d’amnistie du 24 juillet fut sa première punition, et un mémoire justificatif qu’il rédigea ne l’en eût pas fait rayer, sans l’intervention de M. Decazes, qui le sauva. Il jugea cependant à propos de s’en aller en Angleterre, d’où il ne revint qu’après la réaction