Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

Enfin Benjamin Constant se disposa à revoir la France. Il partit le 1er avril 1814, avec le corps d’armée de Bernadotte pour Bruxelles, et arriva à Paris avec Auguste de Staël. Le 21 du même mois, on lisait déjà dans le journal des Débats un article de lui, où il exprimait sa façon de voir la restauration. Cet article reposait sur une idée alors tout-à-fait étrangère en France, celle de la neutralité du pouvoir royal entre les partis, qui renferme tout le mécanisme du gouvernement représentatif, et qu’il n’a cessé de professer depuis dans ses écrits et à la tribune. Ce jour-là, Benjamin Constant jeta, sans le vouloir, les premiers fondemens de l’opposition parlementaire. Ainsi la Providence, qui avait permis qu’une royauté hostile à la révolution nous vînt à la suite des bagages ennemis, avait déjà placé dans ces mêmes bagages, et près d’elle, l’homme qui devait la contenir et l’arrêter dans ses empiètemens par sa plume active et sa puissante parole !

La restauration entrait déjà à grands pas dans cette voie fatale qui la mena à sa perte, et les écrits se multipliaient sous la plume de Benjamin Constant, qui, pendant quinze ans, se tint devant elle, le doigt levé, lui indiquant avec douleur, comme un Terme antique, le précipice où elle allait se jeter en aveugle. Ses ouvrages sur les constitutions et les garanties, sur la liberté des brochures et des journaux ; ses observations sur le discours de M. de Montesquiou, pour la censure ; son écrit sur la responsabilité des ministres, fait sur la demande du duc de Broglie ; ses articles de journal, se succédaient sans interruption, et grâce à ce torrent de logique et de discussions lumineuses, les idées constitutionnelles commençaient à se répandre en France, lorsque Napoléon débarqua. Il faut bien que je rentre, pour quelques instans, dans la vie privée de Benjamin Constant, pour vous expliquer la conduite qu’il tint à cette époque. Vous êtes trop éclairé, monsieur, et trop expérimenté surtout, pour attribuer infailliblement les grandes résolutions à de grandes causes, et pour vous figurer que les hommes de génie sont toujours tels qu’ils se présentent sur la scène du monde, avec leur costume officiel et leur masque de représentation. Apprenez donc que dans ce moment terrible, lorsque l’Europe haletante attendait avec espoir et effroi le dénoûment de ce drame rapide, tandis qu’une partie de la France courait se précipiter sous les pas