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long-temps disputé leur tête, voulaient un régime d’accommodement et de corruption. Au milieu de ces figures fatiguées, insouciantes ou chagrines, apparaissait le visage frais et gracieux du jeune Constant, remarquable par sa longue chevelure blonde, et son extérieur d’étudiant allemand. On se plaisait à l’entendre combattre pour ses opinions enthousiastes, avec toutes les ressources que lui fournissaient une érudition immense, un esprit brillant et fin, et l’âme la plus poétique et la plus élevée. Madame de Staël suivait avec ivresse la pensée de ce jeune homme si original par lui-même, et qui l’était encore plus par son éducation. Élevé d’abord au milieu de l’aristocratie anglaise, il n’y avait puisé que le dégoût des distinctions nobiliaires, et il avait renoncé pour jamais aux privilèges de sa naissance ; transporté ensuite dans les nuées de la philosophie allemande, il s’était senti une soif ardente pour l’ordre politique où régnaient les idées les plus positives. Mais il avait apporté en France l’amour de la justice sans la connaissance des choses, et il servit d’abord de jouet à ceux à qui il demandait si ingénument de le guider vers la vérité. C’est ainsi qu’on le lança sur le parti de la révolution, en lui faisant écrire trois lettres dans les journaux, contre le décret qui admettait les deux tiers de la Convention dans la nouvelle représentation nationale. Ces lettres eurent un succès prodigieux. Il fut cajolé par toutes les femmes, porté aux nues par les journalistes de la coterie ; mais son succès même l’éclaira sur le mauvais pas qu’il venait de faire. Que devint-il en recevant des ouvertures des comités royalistes, qui le regardaient déjà comme un des restaurateurs de la monarchie ! Forcé d’essuyer des embrassemens qui le faisaient frémir, il n’eut pas de relâche qu’il n’eût lui-même réfuté ces maudites lettres qui lui valaient tant d’amis dont il avait hâte de se débarrasser. Sa réfutation qu’il fit avec Louvet, ainsi qu’un discours que celui-ci prononça à la Convention, n’eurent malheureusement pas le succès de ses lettres, et il lui resta le chagrin d’avoir débuté dans la vie publique, en servant une cause qui n’était pas la sienne.

De telles leçons ne sont pas perdues pour un esprit supérieur. Qui sait si ce n’est pas de cette profonde et première impression de jeunesse que datent cette prudence et cette circonspection extrêmes qu’on a si souvent reprochées à Benjamin Constant ? Il était aussi