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REVUE. — CHRONIQUE.

Après avoir parcouru les diverses provinces du nord de la Turquie, escorté de ces légères tribulations, de retour à Constantinople, notre voyageur y assiste à un marché de femmes qu’il décrit de la manière suivante :

« Les Circassiennes et les Georgiennes qui constituent la denrée principale et la plus précieuse de ce marché, y sont amenées et vendues aux marchands par leurs parens eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’elles y soient conduites, on les tient rigoureusement séquestrées, sans leur permettre la moindre communication avec qui que ce soit, même avec leur famille. On ne leur cache nullement d’ailleurs le sort qui les attend, et telle est la captivité rigoureuse à laquelle on les condamne, que loin de le redouter, elles appellent au contraire, le moment de partir pour Anapa ou Poti avec autant d’impatience qu’une pensionnaire française ou italienne, celui de sortir du couvent. Arrivées au marché, elles y sont logées dans des appartemens séparés, où les acquéreurs peuvent venir les visiter entre neuf heures et midi. Ces entrevues se passent d’ailleurs avec la plus grande décence. Avant d’acheter une femme, on est admis à lui regarder le visage et à lui toucher la taille, voilà tout. La walse n’est pas plus innocente. Le marchand garantit, du reste, l’âge et la qualité de la marchandise. Le prix commun d’une vierge un peu présentable est d’environ cent livres sterling. Les Nubiennes et les Abyssiniennes, articles d’une bien moindre valeur, sont exposées publiquement sous des tentes. C’est plaisir de les voir avec leurs dents blanches, leurs joues rebondies, et leurs yeux brillans, vous sourire et vous provoquer quand vous les regardez, et dire même à voix basse à quelques-uns : « Achetez-moi. » Ces pauvres filles ne se paient guère plus de seize livres. »

Ici, nous nous séparons de M. Slade, bien malgré nous vraiment, et à notre grand regret ; mais, ne manquons pas de le dire avant de terminer, car c’est la moindre reconnaissance que nous lui puissions montrer, il y a long-temps que nous n’avions fait route avec un voyageur aussi amusant et aussi spirituel.