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peut-être nécessaire à son tempérament. Du reste, il se confia peu à ses partisans doctrinaires, qu’il soupçonnait en secret de participer au gouvernement occulte du château ; mais son découragement augmenta chaque jour, et il était arrivé à son plus haut degré au moment où il tomba si gravement malade. Alors il avait déjà courbé sa tête sous la nécessité. Cet homme si impérieux, si jaloux de restaurer les droits et les prérogatives d’un premier ministre responsable, qui avait chicané si long-temps avant que d’entrer au ministère, qui, le jour de l’ouverture des Chambres, suivait sur un papier le discours que lisait le roi, afin de bien s’assurer que rien n’avait été changé dans la rédaction arrêtée au conseil, cet homme se chargeait du poids et de la responsabilité d’une foule de lois et de mesures qu’il n’approuvait pas ; il subissait de seconde main l’influence de M. Barthe, de M. Sébastiani, de M. Soult, qui avaient l’oreille du prince ou de son fils ; il recevait ses négociations diplomatiques toutes faites, que M. Sébastiani lui rapportait de Neuilly ; en un mot, l’amour du pouvoir, dont il ne pouvait plus se dessaisir, l’avait fait consentir à n’en garder que l’apparence. Sur un seul point, Périer ne céda pas. Il jura qu’il mourrait plutôt que de demander aux Chambres des lois d’exception et le droit d’arbitraire, et il disait, en souriant à ceux qu’il combattait sur ce point, « qu’il fallait être bien maladroit pour ne pas trouver l’arbitraire dans les lois existantes et le chercher autre part. » Sa morale d’homme d’état se ressentait un peu de ses habitudes de banque.

Il faut avoir vu de près Casimir Périer, avoir vu la joie impétueuse des premiers jours de son ministère, lorsqu’il avait reçu une bonne nouvelle, quand par une réponse ferme, il avait intimidé un ambassadeur, et fait changer en proposition accommodante une injonction de la sainte-alliance, pour se faire une idée du désespoir sombre et profond qui le saisit en voyant s’échapper une à une ses idées favorites. Rien ne pouvait plus relever cette âme abattue, pas même l’irritation que lui causaient ses adversaires, et qui lui avait donné tant de force, car c’était surtout dans la résistance qu’éclatait la vigueur du caractère de Casimir Périer. Il est impossible d’oublier le spectacle de ce genre qu’il offrit dans les troubles du mois de septembre, à l’occasion de la prise de Varso-