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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

dans l’enceinte de la Chambre ; mais il en fut bientôt chassé à la demande d’un député de l’opposition. D’autres agens de police, en assez grand nombre, veillaient aussi sur cette précieuse vie, indépendamment de cet acolyte ; et il fut même sérieusement question de leur adjoindre un escadron de la garde municipale. On s’étonnera moins que Casimir Périer pût concevoir cette idée de garde prétorienne, lorsqu’on saura qu’on avait poussé si loin la flatterie dans son intérieur, que la petite horde doctrinaire qui avait planté ses tentes autour de lui, le nommait hautement devant lui le premier consul. Tout était sur ce ton ; même hors de sa présence, il était de consigne de le louer avec emphase. Il y a plus : c’est qu’après sa mort, les doctrinaires, qui ne sont peut-être pas fâchés de l’avoir vu si tôt passer parmi les dieux, les doctrinaires ne tarissent pas sur la grandeur et la noblesse de ce caractère, dont le bon côté leur avait échappé, je crois. Il n’y a pas long-temps encore, j’entendais M. Cousin le comparer à Napoléon, et jurer que, dans sa pensée, c’était le seul homme vraiment remarquable qui se fût présenté en Europe depuis la chute du colosse. M. Thiers, présent à ce panégyrique, applaudissait des deux mains. Nous étions douze dans le salon, et je me demandais comme don Bazile : « Qui trompe-t-on ici ? »

Une conversation, ou plutôt une discussion que le président du conseil eut avec l’ambassadeur russe, qui se plaisait à exciter sa bile pour lui arracher ses pensées secrètes qu’il ne savait plus contenir alors, dissipa totalement les illusions de Casimir Périer. Quelques mots, lâchés certainement à dessein, lui révélèrent qu’on avait des raisons pour ne pas regarder sa parole comme définitive, et que sa colère et ses menaces n’étaient que des démonstrations vaines. Il sut bientôt ce qu’il ignorait seul encore ; il démêla la source des obstacles qu’il trouvait partout, et un abattement, profond succéda à cette ardeur qui le faisait se jeter au-devant de ses ennemis de toute espèce. Cet abattement était si visible, qu’il fallut bien lui trouver une cause, et son entourage publia que les attaques violentes de la presse, les calomnies et les injures d’un certain parti, excitaient en lui cette amertume ; allégation la plus fausse, car Périer faisait profession de mépriser les clameurs des journaux, et elles ne lui causaient que de la colère et une émotion de rage