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avait l’œil ouvert sur le château, et en conférant chaque jour avec les ambassadeurs des principales puissances, en envoyant sans cesse ses instructions à Londres par l’aîné de ses fils, ses dépêches à Rome par l’autre ; en expédiant en Hollande et en Belgique M. de Glasson, son intime, il se crut à l’abri de toute surprise. Cependant, et en dépit de toutes ces précautions, on se cachait du premier ministre, on avait des conférences secrètes avec les ambassadeurs ; M. Sébastiani servait de couvert à une correspondance avec le prince Talleyrand ; sous son cachet passaient des lettres autographes et non communiquées au conseil, adressées aux souverains de la sainte-alliance. Pour l’intérieur, c’était M. de Montalivet qui se chargeait de semblables complaisances ; une foule de fonctionnaires et d’agens d’une police autre que celle du ministère agissaient par des ordres directs, et rendaient compte de leurs opérations à l’insu de Périer et de trois autres de ses collègues ; bref, on avait à peine cessé un moment de suivre la marche qui avait été adoptée depuis le commencement du nouveau règne, et il y avait au moins autant d’activité dans le cabinet des Tuileries que dans les bureaux de la présidence et du dicastère de police établi dans la rue de Grenelle.

Extérieurement, Casimir Périer semblait plus indépendant et plus puissant que jamais. À lui, à lui réellement, à son ascendant appartenait la majorité de la Chambre ; la Bourse ne jurait que par lui ; sa personne et son amour furieux d’ordre et de repos avaient rapproché du gouvernement les banquiers étrangers, et surtout Rotschild, que sous le ministère précédent on avait trouvé très mal disposé et très difficile. Aussi tout pliait en apparence devant Casimir Périer, avec un respect et une soumission dont on n’avait pas vu d’exemple depuis la chute de l’empire. Après le danger qu’il avait couru au milieu d’une émeute sur la place Vendôme, il avait nommé un commissaire de police, chargé, pour toutes fonctions, de veiller à sa personne. C’était un grand et beau jeune homme, connu par sa résolution et son audace : il était de Grenoble, et se nommait Marut de Lombre. Il passait tout le jour dans l’antichambre du président du conseil, examinant avec soin ceux qui se rendaient à son audience ; et dès que le ministre sortait il montait dans un cabriolet toujours attelé et s’élançait sur les traces de sa voiture. Sa surveillance était si rigoureuse qu’il le suivait jusque