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ont parlé à Frank endormi, n’ont-elles plus à retentir à son oreille ? Pourquoi, quand la lumière a percé, redonner champ libre au chaos, et livrer le lecteur sans réplique à ce monologue incohérent qui couronne la mystification du cercueil, à ce conflit de beautés aveuglantes et de pensées qui se heurtent,


Telles par l’ouragan les neiges flagellées ?


Poète si jeune d’ans et qui pourriez être si mûr, pourquoi ne pas accomplir un dessein ?

M. de Musset ne parait pas s’être inquiété jusqu’ici d’établir en son talent une force concentrique et régnante : il embrasse beaucoup, il s’élance très haut et très avant en tous sens ; mais il brise, il bouleverse à plaisir ; il se plaît à aller, puis soudain à rebrousser ; il accouple exprès les contraires. Bien des talens d’une moindre étendue sont plus sphériques, en quelque sorte, et suivant moi, plus parfaits que le sien. Il suffirait qu’on le louât de préférer et de pratiquer une chose, pour qu’il s’applaudît à l’instant d’aimer également toutes les autres. Sa préface exprime très vivement ce goût, oserai-je dire ? cette manie de diversité, qui se retrouve à la fin dans Hassan, que Beppo avait déjà eue, je crois. L’adorable drolerie À quoi rêvent les jeunes filles, imbroglio malicieux et tendre qu’on peut lire entre le Songe d’une nuit d’été et le cinquième acte de Figaro, n’est que le gracieux persifflage de cette idée de chaos où il se joue, de même que Frank m’en paraît la personnification sombre, fatiguée et luttante. Le plus beau passage du volume, ces stances du milieu de Namouna, que nul ne se chantera sans larmes, ce Don Juan vraiment nouveau, réalisé d’après Mozart, qu’est-ce encore, je le demande, sinon l’amas de tous les dons et de tous les fléaux, de tous les vices et de toutes les grâces ; l’éternelle profusion de l’impossible ; terres et palais, naissance et beauté ; trois mille noms de femmes dans un seul cœur ; le paradis de l’enfer, l’amour dans le mal et pour le mal, un amour pieux, attendri, infini, comme celui du vieux Blondel pour son pauvre roi ? Si j’ai dit que l’œuvre manquait d’unité, je me rétracte : l’insaisissable unité se rassemble ici comme dans un éclair, et tombe magiquement sur ce visage : voici l’objet d’idolâtrie.