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une individualité bien retrempée, et que sa médaille soit sortie d’un seul jet. Lui aussi, le plus intrépide et le plus adroit des chasseurs tyroliens, l’orgueil l’égare ; l’envie de toute supériorité l’ulcère ; il repousse ses joyeux compagnons et la vie simple ; il incendie en un jour de frénésie sa chaumière natale, rencontre un palatin avec sa maîtresse en croupe, dans une gorge étroite, se prend de querelle, tue l’un et emmène l’autre, délaissant sa douce fiancée d’enfance, la pure Déidamia. En proie au jeu, à la débauche, à l’épuisement, aux bras de l’impure Belcolore, il s’en arrache pour les aventures de la guerre. Victorieux capitaine de hussards, il fait le mort un jour, et simule son enterrement pour assister lui-même à sa renommée. Las de toutes choses, l’image de sa fraîche Déidamia le poursuit cependant ; un bouquet d’églantine qu’elle lui a jeté au départ, ne l’a jamais quitté ; il la revoit, il veut redevenir bon, simple, frapper sur l’épaule à tous voisins, et reprendre la vie de gai chasseur. Un baiser, le premier qu’il ait donné à sa Mamette, comme il appelle Déidamia, va lui être rendu. Mais Belcolore, l’impure acharnée, cette sirène au beau corps, à l’épaule charnue,


À la gorge superbe et toujours demi nue,
Sous ses cheveux plaqués le front stupide et fier,
Avec ces deux grands yeux qui sont d’un noir d’enfer,


Belcolore, le brutal génie des sens, la volupté meurtrière, a suivi Frank ; elle s’est glissée sur le seuil nuptial, et entre le chaste baiser donné, et pas encore rendu, elle trouve place pour un poignard au cœur innocent de Déidamia :


Ah ! malheur à celui qui laisse la débauche
Planter le premier clou sous sa mamelle gauche.
Le cœur d’un homme vierge est un vase profond :
Lorsque la première eau qu’on y verse est impure,
La mer y passerait sans laver la souillure,
Car l’abîme est immense, et la tache est au fond !


Est-ce là la moralité, la fatalité de ce drame ? Je le crois ; il le faut ; elle ressort presque forcément, quoique le poète ne l’ait pas