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IL PIANTO.

Vous, poètes surtout, chanteurs au front austère,
Ô pontifes de l’art, ô peintres qui, sur terre,
Pliant les deux genoux comme l’antiquité,
Vous faites de la forme une divinité ;
Vous tous, êtres nerveux qui ne vivez au monde
Que dans le sentiment de sa beauté profonde,
Oh ! comme je vous plains, oh ! comme je conçois
Votre douleur sans borne et vos lèvres sans voix,
Lorsque de vos amours les lignes périssables
S’effacent devant vous comme un pied dans les sables,
Lorsqu’un beau front se fane au toucher de la mort,
Lorsqu’une voix éclate en un dernier effort,
Ou bien lorsqu’à vos yeux une blanche statue,
Sous le marteau brutal qui la frappe et la tue,
Se brise, et que la forme impossible à saisir
Comme une âme s’en va pour ne plus revenir !


Et toi, divin amant de cette chaste Hélène,
Sculpteur au bras immense, à la puissante haleine ;
Artiste au front paisible avec les mains en feu,
Rayon tombé du ciel et remonté vers Dieu ;
Ô Goethe, ô grand vieillard ! prince de Germanie !
Penché sur Rome antique et son mâle génie,
Je ne puis m’empêcher, dans mon chant éploré,
À ce grand nom croulé d’unir ton nom sacré,
Tant ils ont tous les deux haut sonné dans l’espace ;
Tant ils ont au soleil tous deux tenu de place,
Et dans les cœurs amis de la forme et des dieux,
Imprimé pour toujours un sillon glorieux.