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REVUE DES DEUX MONDES.

Contemplant de son haut l’univers plein de grâce,
Et comme en un miroir y reflétant sa face,
Pensa quelques instans que le monde était bien,
Et qu’en ses élémens le mal n’entrait pour rien.
Mais la forme a perdu sa pureté première,
Du jour où l’homme a mis la main sur la matière,
Son haleine a terni la native fraîcheur
Qu’elle avait, comme un fruit que l’on cueille en sa fleur :
Depuis ce jour fatal, plus a marché la terre,
Plus la forme a pâli sous la main adultère,
Plus cette belle trame et ce réseau divin
Ont changé leurs fils d’or en lourds chéneaux d’airain,
Plus cette eau sans limon a roulé de la fange,
Plus ce beau ciel limpide et ce bleu sans mélange
Ont vu monter sur eux de nuages épais,
Et la foudre en éclats leur enlever la paix,
Si bien qu’un jour, ridé comme un homme en vieillesse,
L’univers dépouillé de grâce et de jeunesse,
Faute de forme, ira, sans secousse et sans maux,
Replonger de lui-même au ventre du chaos…


Oh ! pardonne, mon Dieu, ces cris illégitimes !
C’est que le désespoir va bien aux cœurs sublimes,
C’est que la forme morte et sans recouvrement
Est une chose amère à qui sent fortement.
Aussi, chœurs des souffrans, ô troupes lamentables,
Amans, tristes époux, mères inconsolables,
Vous qu’une forme absente accable de douleurs
Et le jour et la nuit fait sécher dans les pleurs,