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il recevait les perfectionnemens successifs d’art, dont les Orientales de M. Victor Hugo furent le dernier terme ; mais l’inspiration, de quelque part qu’elle vînt, sous quelque forme qu’elle parût, passait toujours à travers l’âme du poète, et s’y teignait d’une vraie nuance. Je ne sais trop si ce qu’on appelle la postérité a des égards et des mentions pour les talens de cet ordre ; mais les contemporains qui les voient s’efforcer et mourir, leur doivent un hommage sincère, une sympathie reconnaissante, et quelques larmes du cœur, surtout quand ils lisent deux des vers comme ceux-ci :


SONNET.


Parmi la mousse rouge et les fraises fleuries
Nous nous sommes assis en face des grands bois,
Ne voyant que le ciel, n’entendant que la voix
Des brises et des eaux, courant dans les prairies.

Tous trois jeunes amis, tous aimant à chercher
L’étroit sentier du val où souvent le pied glisse,
La chaumine des bois que le bon Dieu bénisse,
Et le pommier tout rose aux flancs gris du rocher.

Nous nous sommes assis ; et ce val solitaire
Où l’homme rêve et sent que son cœur aime mieux,
Nous a fait dire à tous, en nous mouillant les yeux ;
« C’est un jour de bonheur ensemble sur la terre ! »

Nous reviendrons encor, nous viendrons une fois,
L’autre mai, nous asseoir là, sur la même mousse,
Causant et répétant que la journée est douce…
Mais est-il sûr, amis, que nous viendrons tous trois ?…

Sainte-Foix, vendredi 8 mai 1829



LE FOLLET DE SAINT-BÉNIGNE.


Spires whose silent finger points to heaven.
(Wordsworth.)

Le Follet qu’autrefois on voyait se percher,
Rouge comme une flamme, ou blanc comme est un cigne,
Près du coq d’or, qui vire au bout du haut clocher,
Sur la flèche de Saint-Bénigne,

Il m’a dit, cette nuit, le magique Lutin
Qui prête à l’airain sourd ses voix mélancoliques,
Et tantôt réjouit d’un murmure argentin
Le vieux dôme des basiliques :

« Bonjour, voisin, bonjour ! — Pour toi je sonnerai
« Les heures et les quarts (dors ou veille, n’importe),
« Les jours qui s’en vont lents, boiteux, l’œil éploré,
« Et ceux que l’allégresse emporte.